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KHAN NUSRAT FATEH ALI (1948-1997)

Surnommé le Pavarotti pakistanais, Nusrat Fateh Ali Khan appartenait à une illustre famille de chanteurs spécialisés dans le qawwali (littéralement, « musique de la parole »), tradition issue du mysticisme soufi. Il naît à Lyallpur (aujourd'hui Faisalabad) le 12 juillet 1948. Son père, Ustad Fateh Ali Khan, aurait voulu pour lui un métier « noble » (médecin, ingénieur...). Mais, vingt jours après la mort de ce dernier, Nusrat Fateh Ali Khan, alors à peine âgé de treize ans, a une illumination et « reçoit un message de l'au-delà » qui lui commande de chanter. Ravi de s'exécuter, l'adolescent donnera sa première performance vocale... sur la tombe de son père.

Deux ans plus tard, Nusrat Fateh Ali Khan commence à se produire sur scène en compagnie des frères aînés de son père, Ustad Moubarik Ali Khan et Ustad Salamat Ali Khan. En 1971, à la suite du décès de l'un d'eux, il s'affirme comme l'un des plus grands chanteurs contemporains et devient le shahen-shah-e-qawwali, la « plus étincelante étoile du qawwali ».

Ses hallucinants crescendos vocaux au timbre rauque, soutenus par la jubilation des harmoniums portatifs (introduits par les missionnaires portugais du xviie siècle, les harmoniums portatifs ont remplacé, dans le qawwali, le sarangi, vièle à trois cordes mélodiques et trente cordes de résonance) et des claquements de mains, invitent à l'extase sur des rythmes de plus en plus enfiévrés qui mènent ces musiques sacrées sur les chemins de la transe. Ces chants populaires qui s'épanouissent autour des mazzals, les mausolées, célèbrent la mort des saints comme une fête, car celle-ci signifie leur « mariage avec Allāh » : « Je me suis noyé dans l'union avec Lui / je me suis annihilé en Lui. »

Nusrat Fateh Ali Khan a toujours refusé qu'on le qualifie de soufi, même si son « tube » Allahou célèbre la fusion avec Dieu et évoque « l'Éternel qui est partout, il est à droite, en face, en haut... ». D'ailleurs, les vrais soufis ne s'affirment jamais comme tels, car l'objectif fixé par ces ascètes – devenir indifférents aux biens de ce monde – est si inaccessible qu'il serait présomptueux de prétendre l'avoir atteint.

Jusqu'à sa mort, à quarante-neuf ans, le 16 août 1997, à Londres, des suites d'un diabète qui expliquait son ample corpulence et le faisait souffrir depuis longtemps, Nusrat Fateh Ali Khan, devenu une vedette internationale, a suscité dans son pays une énième querelle entre les anciens et les modernes. Son père fut déjà un innovateur, puisqu'il avait introduit un soupçon d'austérité classique indienne dans les musiques chatoyantes du qawwali, par lui menées des places de villages aux salles de concert. Nusrat Fateh Ali Khan, tout en restant un virtuose de la pure tradition, est allé beaucoup plus loin en se livrant à toutes sortes de mélanges avec le rock et la techno qui ont suscité un très large engouement chez les jeunes.

Le roi du qawwali avait participé, avec Peter Gabriel, à la bande originale de La Dernière Tentation du Christ (The Last Temptation of Christ, 1988), film de Martin Scorsese, mais avait été très choqué par l'utilisation de sa frénésie soufie pour accompagner un viol dans Tueurs-nés (Natural Born Killers, 1994), d'Oliver Stone. En signant la musique de nombreux mélos « loukoums » de « Bollywood » – les studios de cinéma de Bombay –, il avait encore élargi son public : s'il en avait eu le temps, il aurait sans doute approché, dans le sous-continent indien, l’audience atteinte par Oum Kalsoum dans le monde arabe.

— Éliane AZOULAY

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