O.G.M. Les risques
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Les biotechnologies et notamment la possibilité de préparer des O.G.M. (organismes génétiquement modifiés) sont considérées par la majorité des biologistes comme une des grandes avancées du xxe siècle. En toute logique, les pays les plus démunis devraient en bénéficier en priorité. La Chine, mais aussi l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud et, à un moindre degré, d'autres pays ont fait le pari que les O.G.M. seraient un des outils essentiels pour faire face aux demandes alimentaires croissantes de leurs populations. Des aides spécifiques permettraient de faire avancer ponctuellement les choses. Encore faut-il garder à l'esprit que l'implantation de cultures d'O.G.M. ne pourrait constituer au mieux qu'une partie de la solution aux problèmes de la sous-nutrition humaine. Plusieurs plantes sélectionnées classiques ne sont que peu utilisées, faute d'être mises à la disposition des agriculteurs. Toutefois, un des avantages des O.G.M. peut résider dans le fait que leur implantation ne modifie pas les habitudes des agriculteurs. C'est le cas pour le riz doré qui pourrait contribuer à réduire les graves déficits en vitamine A qui frappent un nombre considérable d'êtres humains.
Pour certains, cependant, les O.G.M. vont apporter à l'humanité beaucoup moins de bénéfices que de risques. Ils évoquent notamment les risques alimentaires, les risques environnementaux et les risques socio-économiques. Qu'en est-il vraiment ? Ces trois types de risques, d'un niveau d'intensité croissant, sont-ils suffisamment réels pour engendrer, dans certains pays dont la France, confusion et division dans l'opinion publique ?
Les risques alimentaires
Les O.G.M. se distinguent des organismes naturels et de ceux obtenus par sélection par le fait que l'information génétique qui est manipulée est connue mais aussi que les modifications génétiques sont réalisées par l'intervention directe d'un opérateur humain. Toute nouvelle technique pose la question de savoir si sa mise en œuvre engendre ou non des risques nouveaux. Des réponses à cette question sont recherchées et trouvées ou non selon les cas. Dans celui des O.G.M. à vocation alimentaire, la question s'est posée rapidement et elle continue à faire l'objet de nombreux débats pour plusieurs raisons. Tout d'abord, tout ce qui touche la nourriture pose logiquement problème car s'alimenter consiste à introduire dans notre corps des produits qui peuvent nous faire autant de mal que de bien. Le contexte mondial – et, en particulier, l'épisode de la vache folle dans les années 1980 et 1990 – a fait apparaître au grand jour que le mode d'alimentation moderne ne nous mettait pas totalement à l'abri du risque alimentaire dû à la qualité des produits mais aussi au contrôle insuffisant des circuits de distribution des aliments et de leur traçabilité.
L'apparition des O.G.M. a induit, rapidement et sans qu'ait eu lieu auparavant le moindre incident alimentaire, la mise en place de réglementations visant à protéger les consommateurs contre des risques éventuels que pourraient poser les O.G.M.
Risques théoriques
Il n'est pas possible de prévoir tous les effets que peut induire l'introduction artificielle d'un gène dans un organisme. Ces effets sont, en principe, moins dus à l'intégration proprement dite d'un gène dans un chromosome (qui peut perturber plus ou moins la structure de l'ADN – acide désoxyribonucléique – à l'endroit où il s'intègre) que de la protéine qui est synthétisée à la suite du décryptage du gène supplémentaire en question. En effet, cette protéine peut interférer de manière difficilement prévisible avec des mécanismes cellulaires de la plante. Paradoxalement, un gène comme celui qui code pour une toxine bactérienne Bt (Bacillus thurengiensis), utilisée pour prévenir l'attaque du maïs ou du cotonnier par des insectes, ne comporte a priori pas plus de risques, sinon moins, que, par exemple, le gène d'hormone de croissance de saumon ajouté à ces animaux pour accélérer leur développement. Dans le premier cas, le gène introduit, qui provient d'une bactérie du sol, est tellement étranger aux plantes qu'il a très peu de chance d'interférer avec elles. Il n'en est pas de même avec le gène de l'hormone de croissance qui induit des modifications métaboliques importantes chez les poissons. À cela, il faut ajouter le fait que l'addition d'une protéine comme une toxine Bt – qui n'a d'effet que sur certains lépidoptères – à une plante comme le maïs, connue pour ne contenir aucune substance toxique, n'a que des risques extrêmement faibles d'engendrer un O.G.M. présentant des risques alimentaires. Le problème est cependant plus difficile à résoudre pour les O.G.M. de « deuxième génération » qui commencent à apparaître sur le marché. Ces derniers ont, par définition, été obtenus pour améliorer les qualités nutritives des plantes ou des animaux, ce qui correspond à des changements métaboliques dont les effets secondaires potentiels doivent être identifiés et évalués.
Les nouvelles variétés de plantes obtenues par les méthodes classiques de la sélection génétique comportent peu de risques, malgré le fait qu'elles résultent de mutations relativement nombreuses et inconnues. Dans son principe, l'introduction de gènes pour l'obtention d'un O.G.M. ne comporte pas plus d'inconnues que les méthodes traditionnelles de sélection et d'hybridation et, donc, fondamentalement pas plus de risques.
Comme cela est souvent le cas, la mise en œuvre d'une nouvelle technique s'accompagne d'une réglementation elle-même nouvelle et en général renforcée pour se mettre à l'abri de mauvaises surprises. De ce fait, l'innocuité des O.G.M. est ainsi beaucoup mieux examinée que celle des variétés obtenues par la sélection génétique classique.
Avant d'arriver dans l'assiette des consommateurs, un O.G.M. a dû satisfaire à une série d'exigences réglementaires. L'obtention d'un O.G.M., quel qu'il soit, est tout d'abord réalisée dans des locaux confinés (laboratoires, animaleries et serres). Les mesures de confinement sont fonction des risques de la manipulation de l'O.G.M. pour les expérimentateurs et l'environnement. Les conditions requises pour la manipulation des O.G.M. sont divisées en quatre classes de risques qui correspondent à des confinements de plus en plus stricts de la classe 1 à la classe 4. Ces mesures, appliquées depuis les années 1970 à tous les O.G.M. expérimentaux, dont certains sont très dangereux, ont donné satisfaction.
Une dissémination volontaire (c'est-à-dire réalisée à des fins expérimentales) que représente un essai de plante O.G.M. en plein champ n'est acceptée que pour les O.G.M. de classe risque 1, qui, par définition, peuvent être manipulés dans des locaux sans confinement particulier. Elle est autorisée au cas par cas en fonction de l'espèce considérée, des propriétés du transgène et du lieu des essais en question.
La culture à grande échelle (industrielle) d'un O.G.M. pose des problèmes de sécurité différents qui concernent un continent et non plus seulement quelques champs.
Évaluation des risques alimentaires
La consommation d'un O.G.M. n'est autorisée dans l'Union européenne (U.E.) que si un certain nombre de tests d'innocuité ont été effectués et agréés par des commissions nationales (par exemple, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, A.F.S.S.A.) et l'Agence européenne de sécurité des aliments ou E.F.S.A., European Food Safety Authority. La décision d'autoriser la consommation d'un O.G.M. est prise par la Commission européenne. Les tests qui sont exigés au sein de l'U.E. ont été retenus en fonction de leur capacité à prendre en compte la totalité des événements biologiques qui accompagnent le transfert d'un gène. Ces tests globaux s'inspirent de ceux qui sont appliqués pour les médicaments. Ils comportent :
– une comparaison entre les propriétés agronomiques de l'O.G.M. et celles de la plante de référence ;
– une description détaillée du transgène (séquences de bases de l'ADN le constituant) ;
– des mesures de la concentration des principaux composés chimiques et biochimiques de l'O.G.M. (composition totale en protéines, acides aminés, lipides, carbohydrates, ions...) ;
– une identification de la toxicité aiguë de la protéine codée par le transgène par une administration unique à des souris ;
– une évaluation de la toxicité globale de l'O.G.M. chez des rats nourris pendant trois mois avec des quantités aussi élevées que possible de l'O.G.M., suivie par un examen détaillé de ces animaux ;
– une estimation de la valeur alimentaire de l'O.G.M. donné à des animaux cibles pendant des temps variables en fonction de l'espèce (de cinq semaines chez les poulets à plusieurs mois chez les vaches laitières) et dans les conditions standards d'élevage ;
– la recherche de propriétés allergènes de la protéine codée par le transgène et de celles de l'O.G.M.
Si aucune différence n'est observée entre la plante de référence et l'O.G.M., ce dernier est alors considéré comme présentant le même niveau de risques que la plante de référence non génétiquement modifiée. La durée des tests appliqués au rat ne correspond pas au temps pendant lequel un consommateur est susceptible de consommer un O.G.M. Toutefois, elle est reconnue comme suffisante pour révéler la grande majorité des effets toxiques des médicaments, des additifs alimentaires et, plus généralement, des nouvelles molécules mises au contact de l'homme. Ces tests sont suivis par d'autres analyses plus longues et plus approfondies dès lors que la moindre anomalie a été observée lors des tests de trois mois. Des mesures portant sur plusieurs générations ont été effectuées pour plusieurs O.G.M. – ponctuellement et à titre expérimental – par des laboratoires académiques indépendants. Elles n'ont pas révélé de risques alimentaires pour les O.G.M. qui ont été commercialisés. Les controverses qui se sont fait jour sporadiquement à ce sujet n'ont pas amené les commissions d'experts à modifier leurs jugements.
Étiquetage
L' Europe impose un étiquetage pour les O.G.M. Cet étiquetage n'est pas requis pour un produit alimentaire contenant moins de 0,9 p. 100 d'un O.G.M. autorisé. Cette valeur ne correspond pas strictement à un niveau-seuil de risques ; elle a été retenue à la suite d'un compromis entre les experts qui ont estimé que ce niveau est aisément respecté pour un certain nombre de plantes lorsque l'une d'elles est cultivée à proximité d'un champ dans lequel pousse la même plante génétiquement modifiée. Au-dessus de ce pourcentage, il doit impérativement figurer sur l'emballage du produit l'une des deux mentions suivantes : « contient un O.G.M. » ou « ce produit est un O.G.M. »
Pour les produits issus d'animaux ayant consommé des O.G.M., aucun étiquetage n'est prévu. Les risques paraissent en effet trop faibles, la digestion des aliments détruisant la majeure partie des molécules ingérées. De nombreuses mesures ont toutefois été effectuées sur ces produits dérivés (lait, viande), mais elles n'ont pas révélé la présence d'éléments appartenant spécifiquement aux O.G.M.
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Écrit par
- Louis-Marie HOUDEBINE : directeur de recherche, unité de biologie du développement et reproduction, Institut national de la recherche agronomique
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Voir aussi
- MONOPOLE
- POLLINISATION
- ALLERGÈNE
- HERBICIDES ou DÉSHERBANTS
- INSECTICIDES
- RISQUES ALIMENTAIRES
- RÉSISTANCE, biologie
- BREVETABILITÉ DU VIVANT
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- PLANTES TRANSGÉNIQUES ou PLANTES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉES (PGM)
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