Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

OBJET, psychanalyse

Après Freud

Les premières modifications viennent du mouvement psychanalytique anglo-saxon avec les travaux de Melanie Klein en Angleterre et le développement et le renforcement de la théorie des relations d'objet impulsée par un certain groupe d'analystes dont Ronald Fairbairn, Donald Winnicott, Michael Balint, Wilfred Bion.

L'analyse de très jeunes enfants a amené Melanie Klein à revoir la théorie freudienne considérant un objet purement passif au service de la décharge pulsionnelle. S'appuyant sur son expérience clinique et la découverte freudienne de l'animisme caractéristique de l'enfant, Klein donne des jeux à ses jeunes patients. Elle observe alors qu'ils font rapidement rentrer ces objets dans un complexe tissé des relations entre eux et avec l'enfant qui joue, et surtout que celui-ci les dote d'une « vie animique » tout à fait anthropomorphique qui fait déborder les objets d'intentions, de sentiments et de motivations envers lui. Plus tard, elle constate que même les sensations corporelles sont investies d'animisme par l'enfant : lorsque l'enfant ressent une douleur – la faim par exemple –, il ne voit pas là la poussée d'une pulsion insatisfaite mais le résultat de l'action d'un « mauvais objet » dont la motivation est de lui faire du mal. Ainsi, le manque d'un objet de satisfaction – la nourriture dans l'exemple précédent – n'est plus perçu comme un manque d'objet (tel serait le cas pour Freud) mais paradoxalement comme la présence d'un certain type d'objet destructeur et mauvais. Le changement de cap du point de vue épistémologique est donc radical : on ne parle plus d'objet dans son sens plus naturel et biologique mais dans un sens symbolique. L'objet serait désormais « construit » fantasmatiquement par le sujet et inversement le sujet serait influencé par le monde que lui-même construit.

Placés au cœur du grand bouleversement paradigmatique du xxe siècle, les auteurs anglais ne sont pas étrangers à l'influence révolutionnaire que la linguistique, la sémiotique, la théorie des formes symboliques, la théorie de la communication, etc., produisent dans le vaste horizon des sciences humaines. Les objets en général et l'objet psychanalytique en particulier ne seront plus jamais perçus de la même manière. De même que, pour toutes les sciences humaines, l'appréhension de la réalité est médiatisée par les systèmes du langage, pour la psychanalyse de l'après-guerre, l'objet est toujours d'abord fantasmé par le sujet tandis que l'entourage physique sera intégré par le sujet non pas tant au moyen des représentations psychiques dépendant des organes du sens que par des formations de symboles et des processus complexes de projection et d'introjection des parties du « self » et du monde.

En France, où la pensée de Lacan domine largement l'horizon des idées psychanalytiques de la deuxième moitié du xxe siècle, la position à l'égard de l'objet poursuit avec quelques modifications des idées de Klein. Ainsi, pour Lacan, « l'objet petit a » représente dans l'algèbre psychique non un objet de la satisfaction mais au contraire un objet du manque, un objet que le sujet ne retrouvera jamais plus et qui sera la cause de son désir, toujours insatisfait. Comme on peut l'entrevoir avec ces propos, ces changements de position ne se limitent pas à la définition de l'objet en psychanalyse mais visent une profonde révolution dans l'épistémologie de cette discipline dont l'objet n'est qu'un des termes.

— Carlos MAFFI

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur en psychopathologie fondamentale et psychanalyse, université de Paris-VII, psychanalyste

Classification

Autres références

  • ABRAHAM KARL (1877-1925)

    • Écrit par
    • 562 mots
    • 1 média

    Psychanalyste allemand, un des plus fidèles et des plus orthodoxes disciples de Freud. Né à Brême dans une famille juive hanséatique, Karl Abraham reçoit d'abord une formation médicale classique. C'est à Zurich, dans la clinique du Burghölzli, fondée par C. G. Jung, qu'il s'initie à la ...

  • AMBIVALENCE, psychanalyse

    • Écrit par
    • 1 182 mots
    • 1 média

    C'est le psychiatre suisse Eugen Bleuler (1857-1939) qui a introduit ce terme et en a fait le symptôme dominant dans le tableau de la schizophrénie. Il distingue tout d'abord l'ambivalence dans trois secteurs de la vie psychique : dans les modalités de la volonté, deux volontés qui s'opposent...

  • BION WILFRED R. (1897-1979)

    • Écrit par
    • 4 827 mots
    ...moi et des objets internes sur l'objet externe – ce qui permet de préserver les bonnes parties du moi, tout en exerçant un contrôle par agression sur l' objet externe. Par la suite, ces parties projetées peuvent être réintrojectées sous forme de contenus plus supportables pour le nourrisson, du fait –...
  • CLIVAGE DU SUJET (psychanalyse)

    • Écrit par
    • 1 322 mots
    ...dernières, et à introjecter ce qui relève des pulsions de vie. De ce mouvement résultent deux clivages. Tout d'abord, le clivage de l'objet est celui de l'objet partiel dont le modèle est le sein, clivé en bon et mauvais objet. Ensuite, le clivage du moi résulte de la faiblesse du moi précoce, coupé en...
  • Afficher les 29 références