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OBJET

Les objets mathématiques

Les objets mathématiques ont bien évidemment des propriétés, un contenu, qui les différencie non en tant qu'individus réalisés hic et nunc, mais en tant que concepts déterminés, car ils ne sont pas saisissables comme tels dans une expérience sensible. Les philosophes ont pris à leur égard des positions très variées, qu'on peut cependant répartir entre quelques grandes orientations ; nous présenterons cette classification sommaire de deux points de vue.

Réalisme et nominalisme

Du point de vue du type de réalité qu'on leur attribue, on distinguera l'orientation réaliste et l'orientation nominaliste. La première pourrait être représentée par Platon chez les Anciens, par Frege chez les Modernes, quoiqu'en des sens fort différents. Elle consiste à considérer les mathemata non pas tant comme des objets que comme des êtres, indépendamment du mode de connaissance qu'on en peut avoir. On connaît la boutade de Frege : le nombre entier est aussi réel que la mer du Nord... Quelle que soit la manière dont la thèse est entendue, il en résulte évidemment que la mathématique est une science de découverte, que les objets mathématiques existent de toute éternité et que leurs propriétés, comme celles des objets du monde sensible, peuvent être soupçonnées, conjecturées, entrevues avant même que des démonstrations explicites les viennent à coup sûr établir. En faveur d'une telle thèse, on alléguera les obstacles et les contraintes qu'offrent à la pensée les objets mathématiques, leur caractère immuable une fois défini, et l'expérience de nombreux mathématiciens créateurs qui disent « voir » et manipuler les objets de leurs recherches.

Selon l'orientation nominaliste, en revanche, on considère ces objets comme des constructions de langage, renvoyant en dernier ressort à des sensations. Pour Locke, ils consistent en relations d' idées, non de fait dont l'exacte manipulation a surtout pour effet de procurer une habitude de « raisonner rigoureusement avec ordre » (De la conduite de l'entendement, paragr. 7, p. 35). Selon Berkeley, la science des nombres concerne des idées abstraites, et si elles sont détachées « des noms et des figures, comme de tout usage et pratique, ainsi que des choses particulières qui sont dénombrées, on peut supposer qu'elles n'ont aucun objet » (The Principles of Human Knowledge, paragr. 120). Pour un nominaliste, il serait donc possible d'éliminer de la science des choses ces agencements de symboles en explicitant leur construction jusqu'à ses derniers éléments. Des tentatives radicales ont été poursuivies en ce sens, pour exposer avec quelque détail des procédures de pensée permettant de reformuler des théories physiques en se passant des notions de nombre et plus généralement même de l'analyse : exhiber « une science sans nombres », selon l'expression de H. Field. De telles entreprises, et la position nominaliste en général, ont certainement le mérite d'attirer l'attention sur la place et l'importance du symbolisme dans la connaissance ; mais en le réduisant à n'être qu'un appareillage extérieur, elles passent sous silence la fécondité propre et l'aspect autonome du devenir des objets mathématiques.

Entre ces deux positions tranchées, il y a place du reste pour des doctrines en quelque sorte intermédiaires. Pour Aristote, par exemple, les mathemata sont bien des réalités incorruptibles, objets de l'une des trois sciences théoriques. Mais ils n'ont point d'existence séparée de celle des êtres périssables mais existants desquels la pensée les abstrait. Pour Hilbert, chez les Modernes, les objets mathématiques ont assurément une réalité propre, autre que celle des symboles où ils s'expriment ; mais le grand mathématicien a cependant cru possible d'en établir[...]

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