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OBJET

Les objets des sciences de la nature

C'est dans les sciences de la nature que la notion d'objet se présente de la façon la plus spontanée, parce qu'il semble tout d'abord que les objets de la physique, de la chimie, de la biologie, etc., ne sont que le prolongement convenablement schématisé des objets primitifs de notre perception. Une telle homogénéité de la perception et de la science est en effet la thèse généralement adoptée par les philosophes empiristes, thèse dont a hérité le criticisme de Kant, qui, on ne l'oubliera pas, a parlé de l' expérience comme du « maître qui s'offre véritablement à nous ». Pour ce dernier, les cadres et les principes qui structurent le donné des impressions pour les constituer en objets sont immanents à la pensée du sujet connaissant, formes a priori de la sensibilité, catégories et principes de l'entendement et leur champ d'application, selon Kant, ne s'étend justement pas au-delà des intuitions sensibles. La mathématique n'est que l'explicitation des propriétés a priori des formes de ces intuitions. Les sciences de la nature, dont le modèle serait alors la mécanique newtonienne, ne sont que le développement et l'organisation des propriétés empiriques des objets dans le cadre des mêmes principes qui gouvernent notre perception du monde.

Les véritables empiristes, quant à eux, ont toujours visé à reconstituer à partir de la sensation des objets de la perception, et, dans leur prolongement direct, les objets de la science. Un exemple classique pourrait être emprunté à Locke (An Essay Concerning Human Understanding). Mais on en trouverait, plus près de nous, d'autres exemples très instructifs, chez Russell et Carnap. Les tentatives de Russell pour construire l'objet de perception et de science ont considérablement varié ; sans nous attacher au détail de cette chronologie, nous en retiendrons seulement quelques traits significatifs.

Russell

1. Il s'agit bien, depuis le début, de construire à partir du sensible des objets « ayant les propriétés spatio-temporelles que la physique exige des choses » (Signification et vérité ; cf. Jules Vuillemin, La Logique et le monde sensible, chap. iv et v).

2. Les tâches qu'il faudrait alors remplir, et qui ont été abordées sous différents aspects, sont l'élimination des coefficients de subjectivité de notre expérience, dont les marques n'apparaissent plus dans le discours de la science (plus de « je », plus d'« ici »), et l'introduction des relations spatio-temporelles et causales dans l'univers des données sensibles.

3. Dans la « première philosophie » de Russell, la donnée sensible est définie comme constituée de sensibilia, qui ne se confondent pas avec les sensations attachées à la conscience d'un sujet, mais en sont considérées au contraire comme détachables, en quelque sorte objets élémentaires de sensations pouvant n'être que virtuelles. Le passage des sensibilia aux objets de la physique est alors décrit comme une procédure strictement logique, qui construit des choses à partir d'ensembles d'apparences donnés comme sensibilia. Ces apparences sont originairement saisissables comme appartenant à deux « espaces » : l'univers privé de chaque sujet et l'univers de tous les mondes privés dont chacun pris globalement serait un « point ». Le problème est de mettre en rapport cohérent ces deux espèces d'univers et d'en tirer la formation de classes d'apparences constituant des « choses » stables à travers les permutations de mondes privés.

4. Dans la « seconde philosophie » (Signification et vérité, 1940 ; Human Knowledge, 1948), les données sensibles sont désormais définies comme « événements ». La subjectivité de la sensation est reportée globalement sur l'ensemble complexe[...]

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