OBJET
Les objets des sciences humaines
Pour les faits où l'homme, ses pensées, ses réactions et ses actes entrent de façon essentielle, la question se pose de savoir ce qui peut être connu scientifiquement et par conséquent réduit au statut d'objet.
Les « significations » et les faits humains
Les faits humains se donnent dans notre expérience comme pourvus de « significations ». Entendons par là que les faits expérimentés, comportements ou œuvres des hommes, sont saisis comme « renvoyant » à quelque autre chose. Cette notion de renvoi doit être considérée comme primitive, indéfinissable, et le prototype en est évidemment fourni par le fonctionnement du langage ordinaire. On observera que, dans les périodes pré- ou protoscientifiques de la connaissance de la nature, des significations étaient également bien souvent attachées aux phénomènes non humains. Tout fait de la nature pouvait être saisi comme symbolique, renvoyant à quelque autre chose soit du règne même de la nature (les affinités des choses du « grand monde » et des parties, organes ou fonctions du microcosme que serait l'homme), soit d'un règne surnaturel et surhumain. Mais la neutralisation de ces renvois symboliques, une fois pris le parti de décrire et d'expliquer des objets, a pu s'effectuer sans que les faits naturels paraissent avoir rien perdu d'essentiel. Peut-il en être de même des faits humains ? Le caractère signifiant ne peut plus apparaître alors, après coup, comme un ornement ou un supplément se superposant à un noyau premier de notre expérience ; les significations font ici partie de ce noyau même, elles caractérisent le fait comme humain. Le problème des sciences de l'homme est donc de découvrir comment et jusqu'à quel point objectiver les significations. Non pas sans doute les expulser, comme l'ont fait avec succès les sciences de la nature, mais trouver la manière de les traiter, en sorte de les décrire comme données et d'en expliquer le rôle comme facteurs du déroulement des phénomènes. C'est donc un type original de modèles qu'il conviendrait de mettre en œuvre. Nous ne pensons pas que ce problème ait d'ores et déjà trouvé une solution satisfaisante ; nous essaierons seulement, à partir des indications fournies par l'état actuel des différentes disciplines, d'ébaucher les directions dans lesquelles il nous semble les voir s'orienter.
Puisque tout fait humain est signifiant, une première idée peut d'abord venir à l'esprit, qui est d'assigner pour paradigme à toute étude des faits humains la linguistique. Cependant, s'il faut reconnaître le fait linguistique comme ingrédient ou aspect d'un fait ethnologique – telle l'organisation des relations de parenté – ou d'un fait économique – comme la formation des prix sur un marché –, on ne peut réduire l'organisation de ces faits à celle d'un fait de langue, en affirmant que tout fait humain est « structuré comme un langage ».
Cette réserve faite sur un « panlinguisme » abusif, on reconnaîtra l'intérêt du recours modéré au paradigme linguistique, pour la constitution de l'objet en sciences humaines. Appliquons-le à l'interprétation de quelques couples de concepts rencontrés par différentes disciplines et capables de révéler des points de vue féconds sur le statut signifiant des faits humains. C'est tout d'abord l'opposition des infrastructures aux superstructures. Dans son sens marxiste primitif, cette opposition dissocie une organisation dont le fonctionnement serait de type « naturel » : celle des formes de production et une organisation chargée de significations. L'interprétation que nous suggérons en maintenant cette distinction, qui semble profonde, consisterait à étendre le sens de l'infrastructural à tout[...]
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Écrit par
- Gilles Gaston GRANGER : professeur au Collège de France
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