- 1. Une mémoire précoce
- 2. La mémoire de Vichy : de la Libération à la fin des années 1960
- 3. Nouvelles approches au tournant des années 1970
- 4. La mémoire de la Résistance en retrait
- 5. Le mythe du résistantialisme et la réception de « La France de Vichy » de Robert Paxton
- 6. Une vision plus complexe au début du XXIe siècle
- 7. Bibliographie :
OCCUPATION (FRANCE) Mémoires et débats
La mémoire de Vichy : de la Libération à la fin des années 1960
Des premières comparutions des dignitaires de l'État français devant la Haute Cour de justice en 1944 à la deuxième loi d'amnistie de 1953, le régime de Vichy est moins objet d'histoire que de réprobation. Seule une poignée de nostalgiques porte cet étendard et attaque violemment la Résistance en créant le concept de « résistantialisme ». En 1948, l'abbé Desgranges, ancien résistant, dénonce dans Les Crimes masqués du résistantialisme l'« abominable exploitation de la vraie Résistance au profit de certains partis politiques ». La même année, un certain Mauloy signe un pamphlet Les Nouveaux Saigneurs qui stigmatise l'épuration menée par les résistants communistes et le rôle déstabilisateur qu'ils jouent dans le contexte de la guerre froide.
Mais la publication, en 1954, de l'Histoire de Vichy de l'historien Robert Aron change la donne. Cette volumineuse étude dominera l'historiographie du régime de Vichy durant vingt ans. Pondéré, suggérant que le régime n'était pas monolithique, Aron atténue l'image très négative qui prévalait jusqu'alors de Vichy et, en un sens, tente de lui redonner une certaine respectabilité. De son côté, dès 1956, le politologue Stanley Hoffmann propose la notion de « dictature pluraliste » pour caractériser le régime de Vichy. Celle-ci résulterait d'un surprenant amalgame entre, d'une part, d'importants bataillons réactionnaires et conservateurs, et, d'autre part, une petite fraction de la gauche. Cette approche s'inscrit dans le contexte du retour aux affaires d'une droite discréditée à la Libération. L'écrivain résistant Jean Cassou s'indigne de cette sorte d'amnésie vis-à-vis de Vichy dans La Mémoire courte (1953).
Ainsi, les Français de l'Occupation se positionnent très différemment selon qu'ils portent la mémoire de Vichy ou celle de la Résistance. Les premiers développent sans faiblir leur argumentaire, de la défense inconditionnelle de l'État français jusqu'à la rhétorique des deux fers au feu : du bouclier Pétain qui aurait protégé la France et du glaive de Gaulle qui l'aurait remise au combat. Les seconds, de leur côté, s'évertuent à conjurer l'érosion de la mémoire de l'action si singulière qu'ils ont menée. Ils le font avec la conscience aiguë qu'il s'agit d'une tâche impossible mais qu'il faut malgré tout mener, ne serait-ce que par fidélité à leurs camarades morts, tombés dans la lutte clandestine : « Chacun a les siens, écrit Jean Cassou, auxquels il songe dans cette retraite saugrenue, ineffable et close qu'est devenue sa mémoire. »
La question de l'action antisémite du gouvernement de Vichy est graduellement mise en lumière. À dire vrai, elle n'a jamais été entièrement éludée, comme le prouve le numéro d'octobre 1956 de la Revue d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale sur « La condition des Juifs ». Dans la préface, Henri Michel écrit : « Fait capital : l'affirmation même de l'indépendance (dans le choix de la collaboration avec l'occupant) conduisait les gouvernements de Vichy à devancer, à dépasser les autorités d'occupation dans la prise de mesures antijuives. » A contrario, un plan du film Nuit et Brouillard (1955) d'Alain Resnais est censuré afin de masquer la présence d'un gendarme français gardant le camp d'internement de Pithiviers. On ne doit pas sous-estimer la complexité des représentations qui existent dans la seconde moitié des années 1950 ; l'historienne Annette Wieviorka note que, avant même le procès d'Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961, le souvenir du génocide des juifs commençait peu à peu à émerger, comme en témoigne le[...]
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Écrit par
- Laurent DOUZOU : membre senior de l'Institut universitaire de France, professeur des Universités en histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Lyon
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Médias
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