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OCCUPATION (FRANCE) Mémoires et débats

Une vision plus complexe au début du XXIe siècle

Le tableau dessiné par Robert Paxton est corrigé et complété par la publication des actes du colloque tenu en 1990 sur Vichy et les Français (sous la direction de Jean-Pierre Azéma et François Bédarida) et par la publication, la même année, de L'Opinion publique sous Vichy par Pierre Laborie. De plus, même si Philippe Burrin, qui publie en 1995 La France à l'heure allemande, continue dans une veine plutôt paxtonienne, il décline une très large palette des accommodements pratiqués par la population vis-à-vis de l'occupant.

Quant à la Résistance, son étude est notamment approfondie par Jean-Marie Guillon, Rod Keward, Pierre Laborie, François Marcot, Jacqueline Sainclivier, John Sweets, Dominique Veillon. Une nouvelle génération a, depuis lors, pris le relais. Bénéficiant de l'ouverture d'archives jusqu'alors fermées (Sébastien Albertelli, Les Services secrets du général de Gaulle, 2009), revisitant des domaines supposés connus (Julien Blanc, Au commencement de la Résistance. Du côté du musée de l'Homme 1940-1941, 2010) ou interrogeant conceptuellement la réalité résistante (Cécile Vast, L'Identité de la Résistance, 2010), ces jeunes chercheurs donnent à voir un phénomène beaucoup plus complexe et protéiforme. Les historiens commencent aussi à penser simultanément Vichy et la Résistance (Johanna Barasz, « De Vichy à la Résistance : les vichysto-résistants 1940-1944 », in Histoire de la Résistance : nouveaux chercheurs, nouveaux apports, 2011). Ils s'interrogent également sur la résistance civile (Jacques Sémelin, Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe 1939-1943, 1989) mettant au jour les mobilisations des groupes inorganisés ou des masses dans les divers pays européens. L'opinion publique est analysée avec des concepts de plus en plus élaborés, comme le « penser-double » de Pierre Laborie (Les Français des années troubles. De la guerre d'Espagne à la Libération, 2001)qui permet de dépasser les oppositions classiques (pétainistes/résistants, gaullistes/attentistes, résistants/collaborateurs) pour mieux saisir les zones d'ombre et comprendre de quoi est fait l'ordinaire des années d'Occupation.

Mais précisément, la Résistance ne relève pas de l'ordinaire et les travaux historiques entrepris depuis la Libération, destinés à mieux cerner la France des années 1940-1944, ont, contre toute attente, beaucoup plus concerné le régime de Vichy, à propos duquel il reste peu à découvrir, qu'une Résistance qui défie l'analyse et dont l'exemplarité est difficile à penser dans la période de désenchantement que connaissent actuellement la France et l'Europe. En ce sens, le retentissement de l'entrée au Panthéon de Jean Moulin en 1964 aura été l'arbre qui cachait la forêt. Évoquée sur le registre de l'exaltation à la Libération, la Résistance est petit à petit devenue lointaine et mystérieuse. Elle a même été mise sur la sellette, parfois vilainement, à partir des années 1980, à travers des attaques en règle visant Jean Moulin, tour à tour présenté comme à la solde des Américains ou des Soviétiques, ou les époux Aubrac, accusés ni plus ni moins d'avoir trahi la Résistance. Le thème de l'imposture des résistants de la onzième heure a significativement été traité, de manière talentueuse, au cinéma avec Un héros très discret de Jacques Audiard (1996) mettant en scène un homme qui, à Paris durant l'hiver 1944, s'invente une vie de résistant et bâtit une sorte de légende autour de lui.

Les Français auraient-ils refusé d'affronter leur passé ? La réponse est moins simple qu'on aime à le croire. L'abcès de Vichy a été crevé vingt-cinq ans après la Libération, sans que cela empêche qu'il continue de suinter. Quant au résistancialisme,[...]

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Écrit par

  • : membre senior de l'Institut universitaire de France, professeur des Universités en histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Lyon

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Médias

Procès d'Adolf Eichmann, 1961 - crédits : Bettmann/ Getty Images

Procès d'Adolf Eichmann, 1961

Combats pour la libération de Paris, 1944 - crédits : Hulton-Deutsch/ Corbis Historical/ Getty Images

Combats pour la libération de Paris, 1944

Robert Paxton - crédits : Stephane Klein/ Sygma/ Getty Images

Robert Paxton

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