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OCÉANS (J. Perrin et J. Cluzaud)

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Sorti en France le 27 janvier 2010, Année internationale de la biodiversité, Océans fut présenté en avant-première dans le grand amphithéâtre de l'U.N.E.S.C.O. à Paris le 21 janvier 2010. Cet événement a également permis à l'U.N.E.S.C.O. et au ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer, d'adresser leurs vœux en cette année si particulière dédiée au sauvetage de la diversité biologique.

En sensibilisant le grand public, tout en séduisant aussi les scientifiques et les politiques, Océans illustre ce programme édifié autour de la biodiversité. Il permet en fait de bien redéfinir ce terme qui ne se limite pas à la seule description des espèces (il existe environ 275 000 espèces vivantes dans les mers et océans, celles-ci représentant quelque 15 p. 100 de toutes les espèces vivantes connues) mais qui fait intervenir les relations existant aussi bien entre elles qu'avec leur environnement. Le film ne montre que quelque quatre-vingt espèces (sur 200 filmées au total), mais suit de près leurs comportements, leurs relations et leur intégration dans les habitats. Techniquement, comme pour les films documentaires antérieurs de Jacques Perrin (Microcosmos, 1996 ; Le Peuple migrateur, 2001), des prouesses ont été réalisées, grâce à la conception et la réalisation pratique de « têtes stabilisées » pour supports de caméra, de micro-hélicoptères, de torpilles et de caméras sous-marines spécifiques... Le choix des cinquante-quatre lieux de tournage dans tous les océans – de l'Arctique à l'Antarctique, en passant par les récifs coralliens, la zone inter-tropicale et les mers tempérées – a été guidé par des considérations scientifiques et s'est appuyé sur les conseils des plongeurs. Les soixante-quinze tournages, répartis sur quatre années, abordent la vie sous toutes ses formes, avec une préférence notable pour les grandes espèces emblématiques (ours blanc, baleines, cachalot...), les grands poissons pélagiques (requins, thon rouge, espadon...) et les oiseaux (fou du Cap, frégate...). Le plancton, clé de voûte de la vie océanique, est fugacement présenté au début tandis que l'immensité du groupe des invertébrés marins n'est qu'effleurée. Reste que les images sont souvent exceptionnelles et laissent le spectateur sans voix devant tant de beauté et de grâce. La lutte pour la vie est un thème qui revient constamment dans le film. Comme le précisent Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, la charge émotionnelle des images a constitué un facteur essentiel lors du montage. La présence de l'humain dans des zones soigneusement recherchées pour leur isolement, la qualité des habitats et des écosystèmes, les faune et flore exceptionnelles sont riches de signification et mettent en évidence tant l'exploitation sauvage et cruelle des espèces marines (les pêcheries orientales pour les ailerons de requins) que le caractère bien trempé de professionnels expérimentés face au déchaînement des forces de la mer, tempêtes et vagues gigantesques.

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« L'océan, c'est quoi l'océan... », demande un petit garçon au début du film. Seules les images lui répondront. Des iguanes marins de l'archipel des Galápagos aux grandes méduses océaniques, en passant par les apparentes infinies (malheureusement non !) myriades de petits poissons pélagiques constamment chassés par les grands prédateurs, le plus influent étant l'humain, toute cette scène se déroule sous nos yeux durant plus d'une heure quarante minutes. « En ce temps-là, les bêtes sauvages se partageaient d'immenses territoires, l'océan leur appartenait », ou encore « Au prix du désastre, la victoire de l'homme sur la nature est presque achevée... » ; ces phrases sont parmi les rares commentaires du film. Il est vrai que la biodiversité s'exprimait pleinement avant l'explosion démographique des humains voici 10 000 ans. Mais elle avait cependant subi cinq très graves crises depuis 570 millions d'années. La grande différence entre ces événements marqués par l'extinction massive d'espèces (qui vit, par exemple, disparaître 95 p. 100 des espèces à la fin du Paléozoïque, il y a 245 millions d'années) et l'érosion dramatique de la biodiversité d'aujourd'hui est dans la durée : quelques millions d'années pour les crises biologiques passées, la centaine d'années pour la crise actuelle. Depuis trente ans, cette transformation n'a jamais été aussi rapide : population humaine multipliée par deux, urbanisation effrénée, destruction massive des milieux naturels et des habitats, émission de polluants redoutables et de gaz à effet de serre, surexploitation sauvage (forêt, stocks de pêche), dissémination anarchique d'espèces et influence des activités humaines sur un climat qui change trop vite ! Tout cela, le film le montre parfaitement, certaines images étant même à la limite du supportable.

L'océan a abrité l'émergence de la vie il y a quelque 3,9 milliards d'années. En son sein se sont déroulés des événements déterminants pour l'évolution, tout d'abord au niveau cellulaire, puis à celui de l'organisme quand ceux-ci ont fait leur apparition vers 2,1 milliards d'années. La vie n'en est sortie (pour les espèces à organisation et vie « élaborées ») qu'il y a 450 millions d'années. Il apparaît infini, cet océan, si grand, si profond, si dangereux... et pourtant doté d'un tel pouvoir d'attraction. Et non seulement pour y cueillir les ressources indispensables à notre alimentation, mais aussi pour en extraire des médicaments, des produits cosmétiques, des modèles pour la recherche (de grandes découvertes biologiques et médicales ont été faites grâce à des espèces marines sélectionnées comme modèles), voire des bijoux (corail, perles...). L'humain est fortement attiré par le littoral et cette délicate interface, souvent montrée dans le film, est effectivement l'un des endroits les plus féconds de l'océan mais aussi l'un des plus menacés.

Puisse Océans, réalisé avec une passion qui se transmet au spectateur, avec ses images tour à tour insolites, émouvantes, inquiétantes ou révoltantes, inspirer à l'homme une réflexion qui lui permette enfin de modifier ses comportements. Nous n'avons plus que très peu de temps.

— Gilles BOEUF

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie

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