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MANNONI OCTAVE (1899-1989)

Pour comprendre l'importance et l'originalité de l'œuvre d'Octave Mannoni, il faut la situer avec son auteur dans la petite histoire de la psychanalyse française. Lorsqu'il commence son analyse avec Jacques Lacan en 1945, ce n'est pas un jeune homme en quête d'avenir qui se présente. Sa formation intellectuelle et personnelle est achevée. Il a été professeur de philosophie à Madagascar, puis il y a été chargé de l'information pendant la guerre et s'est vu aimablement remercié pour avoir pris des positions trop favorables à l'indépendance. Il a un an de plus que son psychanalyste et ne saurait être impressionné par le prestige de ce dernier qui n'a pas encore atteint sa démesure.

Ces commencements décisifs font comprendre pourquoi il ne manquera jamais d'indépendance d'esprit. S'il est toujours demeuré proche de Lacan, son œuvre se développera comme en contrepoint. Jamais il ne sera un opposant, mais jamais non plus il ne se départira d'une certaine distance.

En tout ce qu'il écrit, il reprend les questions à leur principe et dans leur infinie complexité.

Il est tout l'opposé d'un dogmatique ou d'un tricheur. Jamais il ne s'écarte du souci de la plus grande clarté, car jamais il ne lui est possible de poser une affirmation, sans faire entendre qu'elle peut être contredite de diverses manières, ou du moins sans essayer de la nuancer et d'en faire apparaître toutes les difficultés. D'où l'impression parfois qu'il n'avance rien et que les sujets traités se dissolvent dans la subtilité des attendus. En réalité, c'est un penseur profond que passionnent ou, pourrait-on dire, que fascinent l'élémentaire et l'énigmatique.

Quand les sirènes de la linguistique séduisent la mini-culture sur laquelle il est embarqué et laissent croire qu'elles savent où se trouve le havre des solutions, il redemande comment un petit d'homme naît au langage. L'échec d'Itard, qui avait voulu introduire à celui-ci l'enfant-loup, le retient à plusieurs reprises et c'est pour conclure que l'on ne saurait sortir du langage pour se poser la question de son origine. Si on lui parle du signifiant, dont l'homme serait la passion ou qui structurerait l'inconscient, il prend soin d'analyser le phénomène sur des exemples tirés de la clinique pour montrer que l'intérêt du rapport de signifiants sur lesquels on joue réside dans l'angoisse de son caractère incompréhensible. Ou encore, si l'on prétend à la coupure du signifiant et du signifié (le fameux arbitraire du signe), il montrera sur pièces que c'est le sens qui détermine le signifiant. Mais, en tout cela, il ne fait la guerre à personne, car les attaques frontales lui paraissent dérisoires ; il se contente de faire voler en éclats les défenses de certitude en poussant parfois la plaisanterie jusqu'à laisser croire qu'il est le meilleur soutien des assiégés.

Au plus fort du temps où l'imaginaire, réduit au spéculaire, est montré du doigt comme le débile qui ne peut accéder à la science, il publie ses Clefs pour l'imaginaire, ou l'Autre Scène, celle du rêve, du fantasme ou du transfert, celle du théâtre où chacun va jouer le ou les rôles qui lui ont été attribués dès la naissance. Pas un mot du symbolique, cet institutionnel, qui doit être regardé comme un faux universel parce qu'il est un « universel contingent ».

De plus, ce n'est pas le symbolique, sorte d'a priori, qui aurait la charge de structurer l'imaginaire, mais, à l'inverse, c'est le langage, et spécifiquement la poésie (dont le poème mallarméen serait le représentant épuré), qui donne accès à l'imaginaire c'est-à-dire à l'énigmatique du songe, du silence et du rien.

La nature[...]

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    Soucieuse de transmission, elle fonde, tout d'abord en 1982, avec Octave Mannoni et Patrick Guyomard, le Centre de formation et de recherches psychanalytiques, qui sera dissous, puis, en 1994, seule – son mari étant décédé en 1989 – l'association de formation psychanalytique et de recherches freudiennes,...