ODE, genre littéraire
L'ode est une forme. Pour une fois, l'étymologie correspond à la réalité de sens (ôdè, chant) et nous renvoie naturellement aux anciennes manifestations de la poésie en Occident, c'est-à-dire au lyrisme grec. Le lyrisme, on le sait, est un chant fait de couplets, accompagné de musique. L'une de ses traditions le plus précisément saisissables est la lyrique pindarique : l'ode y désigne un poème formé sur un groupe tripartite (triade), composé d'une strophe, d'une antistrophe (chacune sur le même mètre) et d'une épode (sur un système particulier). Les triades se suivent, et l'ensemble constitue l'ode. En principe, le chœur interprétant l'ode primitive se déplaçait en fonction des trois stades de la triade. Une autre caractéristique de l'ode chez Pindare est sa thématique : il s'agit d'un lyrisme choral d'apparat, c'est-à-dire de chants solennels en l'honneur de grands personnages (en l'occurrence, des vainqueurs aux jeux panhelléniques). C'est ce type d'ode qui a été transposé en poésie française par Ronsard, dans le premier livre de ses Odes : mais il n'y a plus de musique, le système est purement métrique et consiste en un retour de trois strophes, les deux premières de même structure, le tout sur des thèmes grandioses ou mythiques. Dans son Art poétique, Vauquelin de La Fresnaye parlera de tour, retour et repos pour évoquer cette forme. Il n'est pas impossible, enfin, de trouver un ultime avatar, très simplifié, de cette ode dans certains groupements, purement thématico-discursifs, des versets dans les Cinq Grandes Odes de Claudel.
Il existe une autre tradition de l'ode, qui date d'un siècle avant Pindare, avec Alcée et Sapho, et du temps même de Pindare, avec Anacréon : poème chanté à propos des sujets les plus divers, expression toujours passionnée, chez les premiers, ou légère, chez le dernier, de sentiments personnels sur l'amour, les gens, les plaisirs, l'existence. La forme est relativement libre. Horace, avec ses Odes et Épodes, dépourvues de musique, s'inscrira plutôt dans ce courant. On peut penser que c'est aussi la veine dont relève la conception de Boileau dans son Art poétique, qui parle des multiples sujets possibles de l'ode, et de son « beau désordre ». Les Modernes vont dès lors pratiquer un genre de forme indifférenciée, mais plus ou moins unifié par une écriture véhémente ou allègre, et par une thématique globalement partagée en deux domaines : un discours sur la nature, sentimentale ou matérielle, ou sur les conditions de l'existence ; une adresse à une entité ou à un personnage. Il faut bien reconnaître qu'une certaine emphase envahit peu à peu cette pratique. On avait ainsi, par exemple, dès le iie siècle, les Odes de Salomon, poésie chrétienne assez exaltée ; on aura au xviie siècle, intitulées ou non officiellement de la sorte, les Odes de Théophile et de Saint-Amant sur la solitude ; les grands poèmes de Lamartine, comme ceux des Harmonies poétiques et religieuses, reçoivent la même dénomination, parallèlement aux textes plus légers des Odes de Victor Hugo.
La conséquence de l'inflexion pathétique dans tous ces discours poétiques produit une impression de contamination avec le ton emphatique de la tradition pindarique. C'est ce qui apparaît dans la multitude des Odes à... qui ont envahi les xviiie et xixe siècles européens : outre celles de Klopstock, de Parini et de Carducci qui, dans ses Odes barbares, tenta même de transposer les mètres horaciens, on songera surtout à celles de Collins (au soir), de Shelley (au vent d'ouest), de Keats (à la mélancolie), de Mieckiewicz (à la jeunesse), de Maïakovski (à la révolution), de Lorca (au Très-Saint-Sacrement). Plus généralement, on est en droit de voir des odes, par leur[...]
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Écrit par
- Georges MOLINIÉ : agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, docteur ès lettres, professeur des Universités, université de Paris-IV-Sorbonne, directeur de l'Institut de langue française
Classification
Média
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