JOYEUX ODETTE (1915-2000)
Petite Parisienne, oubliée par son père, couvée par sa mère qu'elle adore, Odette Joyeux fait très tôt connaissance avec les arts du spectacle. Un ami l'oriente vers les cours de danse de l'Opéra. En 1927, une dame-mécène, Jeanne Dubost, reçoit en hommage dix morceaux écrits par les meilleurs compositeurs de l'époque pour une suite-ballet intitulé L'Éventail de Jeanne. Odette Joyeux danse sur « La Pastourelle » de Francis Poulenc dans les salons de la bienfaitrice. Mais, grisée, elle manifeste trop d'indépendance dans les coulisses de l'Opéra et se fait renvoyer. Malgré le chagrin, sa volonté de revenir et de parvenir est intacte. À la reprise officielle du ballet, elle rentre à l'Opéra par la grande porte.
Giraudoux et Jouvet sont alors en quête de « fillettes sachant parler et danser », essentielles pour préparer la création d'Intermezzo (1933). Sollicitée, Odette Joyeux obtient le rôle et le joue bien. Déjà, elle a paru, par intermittence, à l'écran : soubrette dans Jean de la Lune (1931), Bretonne dans Le Chien jaune (1932). Marc Allégret l'engage pour Lac aux dames (1933). Tout en fréquentant le Conservatoire, Odette Joyeux retourne à la danse. Mais elle rate l'examen prometteur et, déçue, quitte le palais Garnier.
Elle apparaît au théâtre dans l'ombre de Madame Simone et lit beaucoup. C'est alors qu'elle rencontre Pierre Brasseur, qu'elle épouse bientôt, pour le meilleur et pour le pire.
Le cinéma va bientôt l'accaparer. Ce sont d'abord les films de Jean Benoît-Lévy : Hélène (1936), Altitude3200 (1938). Encouragée par Giraudoux, Odette Joyeux écrit Agathe de Nieul l'Espoir (1941). Marc Allégret lui fait alors cadeau de cette « étrange créature dont le regard mélancolique dément le sourire ». La voici devenue la Cécilia d'Entrée des artistes (1938), enfant gâtée qui joue avec la mort. La guerre survient. Très remarquée au début de 1940 dans L'École de la médisance, Odette Joyeux participe après l'armistice à une tournée en zone libre et en Afrique du Nord. Lorsqu'elle revient, Claude Autant-Lara la choisit pour personnifier, entre larmes et sourires, Chiffon, sauvageonne de bonne compagnie qui combat l'hypocrisie (Le Mariage de Chiffon, 1941). Le réalisateur va parfaire ce personnage d'adolescente qui se blesse en narguant la société. Maîtresse de poste délurée dans Lettres d'amour (1942), elle s'identifie à Douce (1943), secrète, volontaire et déchirée. Poupée au cœur tendre rêvant d'amours impalpables, elle interprète encore Sylvie et le fantôme (1945). Sur les écrans de la guerre, Odette Joyeux s'est imposée. Sa sensibilité, son ironie ont favorisé et entretenu l'effervescence d'une révolte sous-jacente. Ces quatre films éclipsent celui de Roland Tual (Le Lit à colonnes, 1941) et, plus encore, Échec au Roy de Jean-Paul Paulin (1944). En 1946, E. T. Gréville, avec Pour une nuit d'amour, lui permet d'aviver encore la mauvaise flamme qui brûlait la Cécilia d'Entrée des artistes. D'anodines comédies encombrent ensuite sa filmographie. Elle rompt avec le cinéma après La Ronde (Max Ophuls, 1950) où, grisette viennoise, elle étincelle d'esprit.
Ayant divorcé tardivement de Pierre Brasseur, Odette Joyeux retrouve son équilibre en épousant le chef opérateur Philippe Agostini. Elle va récapituler sa vie en brossant la fresque du Beau Monde (1978) et retrouver sa jeunesse avec Côté Jardin (1951). Peut-être se souvenait-elle alors, avec son humour souriant, de la remarque de Marcel Achard : « Tu es née pour avoir seize ans : ce n'est pas un âge, c'est un état. Tâche de ne pas le perdre. »
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Écrit par
- Raymond CHIRAT : historien de cinéma
Classification
Média