REDON ODILON (1840-1916)
Couleur et imagination
Alors qu'il est âgé de près de soixante ans, une nouvelle période créatrice commence pour Redon. Il se tourne vers l'extérieur, voyage en Bretagne, sur la côte d'Azur, en Hollande, en Angleterre, en Suisse et en Italie, et participe aux expositions. Il recourt à la peinture et au pastel, et y déploie un sens admirable de l'orchestration chromatique. Dans son œuvre graphique, il était parvenu à pénétrer dans le royaume caché de l'imaginaire, en se soumettant « aux lois secrètes qui, dit-il, m'ont poussé à créer, selon mes rêves, des choses dans lesquelles j'ai mis mon moi tout entier » ; mais maintenant, sa peinture le conduit à maintenir la communication avec « les merveilles du monde visible ». Cependant, ce monde visible n'est pas le royaume de l'illusion, mais bien plutôt celui de la suggestion, des références cachées et parfois occultes. Une sorte de pouvoir magique relie les œuvres démoniaques du début aux natures mortes aux fleurs de la dernière période. En recherchant, pour exprimer ses sentiments, des correspondances chromatiques et formelles, Redon suit une voie qui avait été indiquée en premier lieu par Baudelaire et qui préoccupait tous les artistes d'avant-garde. C'est dans cette perspective qu'on peut s'expliquer sa sympathie pour Gauguin, et aussi comprendre pourquoi Maurice Denis, en peignant son Hommage à Cézanne, a mis Redon à la place d'honneur. De fait, Redon a en commun avec la nouvelle génération d'artistes non seulement le goût de l'intimité, et de la couleur conçue comme élément constructif et non plus imitatif, mais aussi un sens nouveau de l'espace. En replaçant les illustrations dans leur déroulement chronologique, on peut voir comment son espace pictural se dépouille progressivement de ses divers plans pour ne plus constituer qu'un seul et unique plan. La surface unie qui en résulte ne renvoie plus, en conséquence, aux qualités tactiles de notre expérience quotidienne, mais révèle les traces magiques de ses visions immatérielles. Parallèlement à cette transformation de l'espace, les figures qui s'y inscrivent se dépouillent du modelé tridimensionnel et se trouvent en quelque sorte mises à plat, tendant ainsi vers la simplification ornementale et l'arabesque. À l'élaboration de ce style, décoratif au meilleur sens du terme, concourt en particulier la connaissance des estampes japonaises, qui exercent leur influence non seulement sur Redon, mais sur toute la peinture moderne depuis Manet et Degas. Les peintures murales de Fontfroide (malheureusement inaccessibles), point culminant de toute son œuvre, peuvent être considérées comme une des données fondamentales du postimpressionnisme. La plus grande partie des œuvres de Redon étant dispersées en Hollande, en Suisse, en Amérique, au Japon et ailleurs, la grandeur comme les limites de son art symboliste n'ont pu être, semble-t-il, pleinement évaluées.
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Écrit par
- Klaus BERGER
: docteur ès lettres,
University distinguished professor of art history, emeritus , University of Kansas, États-Unis
Classification
Médias
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