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ŒUVRE D'ART TOTALE

Des arts de la scène

Or la scène, marquée par l'impact du wagnérisme, ne pouvait manquer d'offrir à ces rencontres un espace privilégié. En 1894, Albéric Magnard (1865-1914) déclarait, dans un article consacré à La synthèse des arts dans la Revue de Paris : « Le théâtre lyrique est aujourd'hui la forme la plus complète de l'art synthétique et la seule qui permette la fusion du mot, du son, de la couleur. » Appia, auteur en 1895 de La Mise en scène du drame wagnérien, ne se privait pas, tout comme Camille Mauclair (1872-1945), E. G. Craig (1872-1966) ou Kandinsky, de critiquer la conception du Gesamtkunstwerk développée par le compositeur. Ce qui ne l'empêchait pas de collaborer avec Jaques-Dalcroze et le peintre Alexander von Salzmann (1870-1934) à Hellerau, où le théâtre construit par Heinrich Tessenow (1876-1950) s'affirme comme une réponse au Festspielhaus de Bayreuth. Dès la fin du xixe siècle, la participation des Nabis avait scellé cette alliance en fournissant au Théâtre d'art de Paul Fort (1872-1960) et à celui de l'Œuvre d'Aurélien Lugné-Poë (1869-1940) rideaux de scène, costumes, décors et catalogues dans une unité stylistique recherchée. Le metteur en scène polonais Stanislaw Wyspianski (1869-1907) était peintre de formation. Précédé par Sawa Mamontov (1841-1918) et son opéra privé, Stanislavski (1863-1938), Reinhardt ou Meyerhold, Serge de Diaghilev (1872-1929) aura lui aussi recours à la collaboration des peintres, allant jusqu'à leur confier la mise en scène dans l'œuvre collective que sont les Ballets russes. Cette pratique se développera tout au long du xxe siècle. Par ailleurs, plusieurs artistes écriront pour le théâtre, comme Kokoschka, Schwitters ou Pablo Picasso (1881-1973) par exemple.

Tandis que les architectes élaboraient des projets de structures nouvelles, tels Behrens à Darmstadt, Hans Poelzig (1869-1936) pour Reinhardt, El Lissitzky (1890-1941) pour Meyerhold ou Gropius pour le « théâtre total » d'Erwin Piscator (1893-1966), les réformes de la scène se multipliaient. En 1908, Georg Fuchs ouvrait son Künstlertheater à Munich. L'année suivante, Kokoschka envisageait une collaboration avec Schönberg pour sa pièce Assassin, espoir des femmes. L'année 1913 est la date de la création de la Victoire sur le soleil par Kroutchonykh, Matiouchine et Malévitch. En 1914, Hugo Ball (1886-1927) projetait un nouveau Théâtre d'art à Munich, dont la guerre empêchera toutefois la réalisation. Deux événements marquèrent l'année 1917 : Jean Cocteau (1889-1963), Picasso et Satie créaient Parade aux Ballets russes, et Apollinaire Les Mamelles de Tirésias. En 1918, la première de l'Histoire du soldat réunissait C.-F. Ramuz (1878-1947), Igor Stravinski (1882-1971), le peintre René Auberjonois (1872-1957) et les Pitoëff. Dans un article intitulé « L'Art nouveau », Lothar Schreyer (1886-1966), directeur de la Sturmbühne, patronnée par la revue de Herwarth Walden (1878-1941) à Berlin, opposait « l'art de la scène » au théâtre traditionnel et se proposait de coordonner, au nom de « l'unité artistique », couleurs, formes, sons, mots et rythmes, rejoignant en cela les recherches de Craig. En 1919, tandis que Schwitters définissait son projet de Merzbühne comme une « alliance de toutes les forces artistiques au service de l'œuvre totale », Meyerhold ouvrait son théâtre de la révolution, qui fait du spectateur le quatrième créateur après l'auteur, l'acteur et le metteur en scène. Le Bauhaus, que Gropius avait placé sous le signe de l'unité et de la synthèse, allait à son tour faire du théâtre un laboratoire fécond, innovant tant sur le plan architectural que sur celui de la mise en scène. C'est ainsi que, parallèlement aux constructivistes – Alexandra Exter (1882-1949), Lioubov Popova[...]

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<it>Tannhäuser</it>, mise en scène de Wieland Wagner à Bayreuth, 1955. - crédits : AKG-images

Tannhäuser, mise en scène de Wieland Wagner à Bayreuth, 1955.

<it>Cathédrale de Rouen</it>, C. Monet - crédits : AKG-images

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