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ŒUVRE ÉCRITE ET PARLÉE (C. Akerman)

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Du film à l’installation

À la lecture des nombreux entretiens (une vingtaine), on est frappé par l’omniprésence de Jeanne Dielman, sur lequel Akerman revient sans cesse. Par-delà sa description stylisée et hyperréaliste du quotidien d’une femme au foyer qui se prostitue, le film se transforme chez la cinéaste en une œuvre qui porte en filigrane l’héritage de la Shoah.Dans son installation de 1998 Selfportrait/Autobiograpy : A Work in Progress, deux moniteurs diffusent des extraits de Jeanne Dielman tandis que l’artiste lit des passages de son livre Unefamille à Bruxelles, un texte autobiographique où Natalia, sa mère, rescapée des camps nazis, est omniprésente.

Ce film angoisse la cinéaste qui le considère bientôt comme un monument indépassable, qui la bloque. La découverte, quelque temps après sa parution, du livre de Gilles Deleuze et Félix Guattari Kafka. Pour une littérature mineure (1975) lui permet de se situer, et de vraiment trouver sa voie : « Quand j’ai lu le livre sur Kafka de Deleuze et Guattari, c’est ça qui m’a frappé. L’écriture mineure. Et ça commençait d’abord par l’écriture. » La démarche de l’auteure était déjà hétérodoxe, qui alternait un film expérimental (Hotel Monterey, 1972), un film autobiographique (Je tu il elle, 1974), divers courts-métrages et News from Home (1976-1977), un faux documentaire autobiographique dans lequel les vues des rues de New York sont ponctuées par les extraits de lettres de la mère de la cinéaste.

À partir de là, Akerman va alterner fictions (Les Rendez-vous d’Anna, 1978, sur une cinéaste voyageuse proche d’elle-même), les films-mosaïque (Toute une nuit, 1982), les documentaires comme Un jour Pina a demandé… (1983), ou Histoires d’Amérique (1988) à partir de missives que des Juifs américains envoyaient au Jewish Daily Forward dans les années 1950. Parfaite illustration d’une littérature mineure, ce film, explique Chantal Akerman, « est un travail sur le souvenir, mais des souvenirs inventés. Il est fait de tant d'histoires, histoires restées en travers de la gorge des parents ».

Chantal Akerman commence sa pratique de l’installation en 1995, qui prolonge son œuvre filmique, surtout documentaire. Sa première installation se nomme D’Est, au bord de la fiction et est créée à partir du film D’Est (1993) qui traitait de la vie en Europe orientale après la chute du mur de Berlin, comme De l’autre côté (2002) aborde la vie des Mexicains traversant la frontière avec les États-Unis. La cinéaste adapte également Marcel Proust (La Captive, 2000) et Joseph Conrad (La Folie Almayer, 2011) de manière très libre, par ponctions de textes entièrement réécrits selon son style.

C’est la puissance de cette écriture que promeut l’Œuvre écrite et parlée, 1968-2015 dont les piliers programmatiques sont Une famille à Bruxelles et Ma mère rit, textes où la ponctuation se raréfie, les temps et les espaces s’interpénètrent sans transition et où le « je » (dans le premier récit) désigne tour à tour la mère ou la fille.

À la question de Jean-Luc Godard en 1980 – « Vous essayez d’écrire plutôt que de prendre des photos ? Mais finalement, le film consistera à prendre des photos ? » – Akerman répond : « Oui, mais j’écris très précisément ce que je veux montrer, avec tous les détails. Je décris ce que je vois dans la tête plutôt que de prendre des photos. »

— Raphaël BASSAN

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