ŒUVRES (G. Perros) Fiche de lecture
« Faiseur de notes invétéré », poète lyrique et ironiste, auteur d’une riche correspondance, Georges Léon Poulot, connu sous le pseudonyme de Georges Perros (1923-1978), vécut en éternel intermittent du « spectacle », « contrebandier » des frontières entre lecture et écriture, homme de conversation distante, toujours en marge des mondes qu’il fréquenta. Établies et présentées par Thierry Gillyboeuf pour la collection Quarto, les Œuvres de Georges Perros(Gallimard, 2017)récapitulent – en 1 600 pages – dans l’ordre chronologique, la totalité de ses textes parus en livres et en revues, édités de son vivant, posthumes ou inédits. La correspondance a été écartée. Le volume s’ouvre sur une chronologie de la vie et de l’œuvre, illustrée de très nombreux documents et photographies, très substantielle et qui permet de mieux saisir les thèmes, les visages et les formes qui hantent et enchantent une œuvre aussi atypique.
Un lecteur écrivain
Né le 31 août 1923 à Paris, Georges Poulot connaît une enfance heureuse dans le quartier populaire des Batignolles. La famille déménage à Reims, où son père, employé d’assurances, est muté en 1933. L’enfant se passionne pour le football, la musique et la littérature. À Belfort (1937), il étudie le piano. Puis, réfugié à Rennes (1939), sous les premiers bombardements, le jeune pianiste opte finalement pour le cours d’art dramatique. Revenu à Paris en 1941, il se lie d’amitié avec Gilbert Minazzoli et abandonne le lycée pour se consacrer au théâtre. Lecteur insatiable, il assiste aux cours de Paul Valéry, d’Antonin Sertillanges et de Vladimir Jankélévitch, rencontre André Gide, Paul Léautaud et devient l’ami de Gérard Philipe. Puis il participe aux débuts du lettrisme avec Isidore Isou. Bien que reçu au Conservatoire d’art dramatique et engagé à la Comédie-Française, Georges Perros renonce au théâtre en 1950 et choisit d’aller à la rencontre de Jean Grenier au Caire. Introduit dans les « milieux de la NRF », il s’y fait quelques amis (Jean Paulhan, Michel Butor, Georges Lambrichs) et collabore régulièrement à la revue en donnant des notes de lecture. En 1959, le « noteur » part vivre à Douarnenez (Finistère) et se marie avec une amie russe, Tania, qui lui donne trois enfants. La famille survit grâce à son travail de lecteur, au Théâtre national populaire (TNP) chez Jean Vilar, puis aux éditions Gallimard. Le familier des marins, fumant la pipe et roulant à moto, meurt d’un cancer du larynx à l’hôpital Laënnec (Paris), le 24 janvier 1978.
La vie singulièrement « ordinaire » de Georges Perros nourrit en réalité toutes ses œuvres. Aux limites de l’essai, du fragment et du poème, né de l’immense chantier d’un lecteur écrivain en perpétuelle construction, foisonnant de notes et de lettres, traversé de poèmes à l’improviste, le puzzle concerté de ses textes déborde, dans tous ses éclats, le genre autobiographique et justifie la présentation chronologique de cette édition en forme d’annales. Chaque ensemble de « notes », « lectures », « textes critiques », « articles de dictionnaire », « prose » et « poésie » recueilli, année par année, depuis les premières pages de 1940 jusqu’aux dernières, est précédé d’une présentation substantielle qui rappelle les contextes biographique et littéraire. Illustrée de dessins, de croquis, de cartes postales et de manuscrits de l’auteur, cette somme reprend les cinq principaux ouvrages que Perros publia de son vivant, soit les fragments des Papiers collés (I et II, 1960 et 1973) et les poèmes (Poèmes bleus, 1962 ; Une vie ordinaire, 1967) parus dans la collection Le Chemin de Georges Lambrichs, ainsi qu’un recueil de notes (Échancrures, 1977), auxquels s’ajoutent les livres posthumes, notamment le troisième volet des Papiers collés (1978), L’Ardoise magique[...]
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
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