ŒUVRES (C. Lévi-Strauss)
Dans l'histoire de l'anthropologie française, l'entrée de Claude Lévi-Strauss à l'Académie française en 1973 marque une date importante : il était le premier anthropologue à y être admis. L'année 2008, qui a fêté la centième année du grand penseur, a été marquée par la parution du volume Œuvres dans la collection de la Pléiade, aux éditions Gallimard (Paris). Cet important travail éditorial s'inscrit dans une série d'autres publications rendant hommage à Lévi-Strauss, comme le volume coordonné par Michel Izard pour les Cahiers de l'Herne en 2004 ou The Cambridge Companion to Lévi-Strauss, sous la direction de Boris Wiseman, paru en 2009.
Comptant plus de 2 000 pages, ce volume retient sept livres parmi les dix-sept que Lévi-Strauss a publiés. La nouveauté de cette édition ne réside pas dans la « panthéonisation » d'un auteur de son vivant, mais plutôt dans le fait que Lévi-Strauss lui-même a opéré le choix de ces textes en les organisant en quatre parties, chacune de façon homogène. D'abord, Tristes Tropiques (1955), puis Le Totémisme aujourd'hui et La Pensée sauvage (1962), ensuite les « Petites Mythologiques », c'est-à-dire La Voie des masques (1975, 1979), La Potière jalouse (1985) et Histoire de lynx (1991), enfin Regarder, écouter, lire (1993). De plus, l'édition contient des notes récentes (2005-2006) de l'auteur, qui sont pour l'essentiel le résultat de nouvelles lectures, ce qui donne un caractère unique à cet ouvrage de la Pléiade. Le travail des éditeurs n'a donc pas consisté à faire un choix dans l'œuvre, mais plutôt à expliquer a posteriori le choix de l'auteur et à l'agrémenter d'un important dispositif critique.
Le but de l'édition de la Pléiade n'est pas d'étayer le travail académique de l'anthropologue. Elle vise principalement à donner à l'œuvre de Lévi-Strauss une postérité littéraire à travers des textes qui ont certes connu moins de succès que d'autres de ses écrits, mais qui touchent à des sujets plus accessibles et généraux. La question du nombre de pages limité interdisait aussi la publication de textes comme Les Structures élémentaires de la parenté ou Les Mythologiques, ouvrages qui, de toutes les façons, s'adressent davantage à un public spécialisé. De plus, ce volume n'aurait pas pu être constitué d'extraits de ces ouvrages (l'introduction des Mythologiques, ou sa conclusion), d'articles (par exemple les plus fameux de son Anthropologie structurale) ou par des ouvrages plus généraux (comme Race et Histoire) qui ont chacun connu leur heure de gloire en dehors du champ académique de l'anthropologie. Un choix de ce type aurait ignoré l'aspect scientifique de l'œuvre, et le volume aurait été identifié à son succès, coïncidant dans le même temps avec un renoncement à sa dimension savante.
Même si le choix de ces textes favorise des sujets assez éloignés de l'anthropologie structurale, comme l'analyse des arts en général – dans leurs formes primitives ou occidentales – et valorise les aspects les plus littéraires de l'écriture lévi-straussienne, le reproche de « littérarisation » de l'œuvre doit être avancé avec prudence. D'une part, même si les sujets traités dans les « Petites Mythologiques » ou dans Regarder, écouter, lire visent plutôt le domaine artistique, les exemples que Lévi-Strauss offre relèvent bien d'un domaine ethnographique classique : celui de l'espace amazonien et du monde amérindien. Sa pensée, telle qu'on peut la retracer dans ce recueil, se rapproche ainsi de celle qui caractérise ses travaux fondamentaux, comme Les Structures élémentaires de la parenté ou Anthropologie structurale : un raisonnement longuement mûri, qui puise son inspiration[...]
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Écrit par
- Simina LAZAR : étudiante, mastère d'ethnologie et anthropologie sociale, École des hautes études en sciences sociales, Paris
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