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ŒUVRES COMPLÈTES (O. Mandelstam) Fiche de lecture

Mort le 27 décembre 1938 dans un camp de transit près de Vladivostok, le poète et prosateur russe Ossip Mandelstam, né le 15 janvier 1891 à Varsovie, d’une famille juive, fut un écrivain martyr du totalitarisme au xxe siècle. La précocité de sa vocation littéraire, sa vie de pauvreté et d’exode, sa mort aux abords du goulag et la gloire posthume de son œuvre ont fait de celui qui fut condamné à l’exil dès 1937 pour avoir écrit un épigramme contre Staline, avant d’être arrêté une seconde fois en 1938, un mythe de la résistance universelle, à jamais à l’avant de notre monde captif.

Traduites par Jean-Claude Schneider, ces Œuvres complètes(Le Bruit du temps/La Dogana, 2018) rassemblent en deux volumes tous les poèmes et textes littéraires en prose, à l’exception de la correspondance. Publié en édition bilingue, éclairé par une préface, des introductions, des notes et des commentaires du traducteur et d’Anastasia de La Fortelle, le premier volume rassemble les grandes œuvres du poète russe, La Pierre, Tristia, Le Livre de 1928, Les Cahiers de Voronej, ainsi que des poèmes non recueillis ou non publiés, avec, en appendice, des Poèmes de jeunesse et des Poèmes pour enfants. Complété de notices introductives, d’une chronologie biographique, d’un dictionnaire des principaux auteurs et revues russes, d’un index des noms de personnes et d’une bibliographie, le second volume réunit, en suivant l’ordre chronologique, tous les récits (Le Bruit du temps, Féodossia, Le Timbre égyptien, La Quatrième Prose, Le Voyage en Arménie, etc.), les proses éparses, brouillons et esquisses ainsi que les articles et essais (De la poésie, Entretien sur Dante, etc.).

Sur les pas de Dante

Le nom même de ce poète qui crut dans le pouvoir du mot est la métaphore matricielle de son œuvre : Ossip, diminutif russe et populaire, renvoie au Joseph biblique, vendu par ses frères en Égypte et interprète des songes de Pharaon, à « l’amertume de l’exil » autant qu’au Joseph K. de Kafka, victime des enfers totalitaires. « Mandelstam » désigne le noyau d’amandier qui fleurit en hiver, fruit doux amer, signe d’élection biblique et souvenir du bâton d’Aaron. L’œuvre de Mandelstam est, en effet, celle d’un « Orphée aux enfers » et d’un prophète porteur d’un espoir absolu en l’irréductible liberté humaine.

Née du « chaos judaïque », entre le parler inventé de son père autodidacte et celui limpide et sonore de sa mère, hérité de la grande littérature russe, la langue de Mandelstam est difficile à traduire tant elle est polysémique, allusive, laconique, ductile, profonde et altière. Pour cet admirateur de Verlaine, le mot vaut d’abord par sa forte coloration musicale qui lui donne des pouvoirs inouïs. La fécondité sémantique, la fulgurance métonymique, la rage réfractaire et l’ampleur visionnaire ne cessent d’aiguiser ses œuvres poétiques : du premier recueil, La Pierre (1913), singulière synthèse de l’acméisme et du futurisme, au hardi et inventif Tristia(1922), moderne apologue de la résistance dans l’exil, nourri de mythes gréco-latins, du Livre de 1928, laconique et violemment critique, aux cinglants Cahiers de Voronej (1935-1937) écrits en exil et cryptés, les vers de Mandelstam (le plus souvent distribués en quatrains et en distiques) se font toujours plus lapidaires, subversifs et foudroyants.

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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