ŒUVRES D'ART & PRISES DE GUERRE (1945)
En visite officielle à Athènes pendant l'été de 1993, Boris Eltsine, président de la fédération de Russie, a révélé que le Trésor de Priam (les objets en or trouvés par Heinrich Schliemann à Troie) se trouvait bien à Moscou, confirmant ainsi ce qui était connu depuis 1991 grâce aux publications de deux savants russes, Grigori Koslow et Konstantine Akinscha. L'or de Troie fait, depuis cette révélation, figure de symbole des milliers d'œuvres d'art disparues depuis 1945 sans laisser de trace, semblait-il, jusqu'à ce qu'elles soient petit à petit sorties des réserves de musées où elles étaient gardées dans le plus grand secret. Dans l'intervalle, le musée de l'Ermitage a montré les toiles et les dessins provenant de la Kunsthalle de Brême, des œuvres de Cézanne, Delacroix, Signac, Van Gogh et Toulouse-Lautrec ayant appartenu à des collections privées. D'autres chefs-d'œuvre qui avaient été propriétés néerlandaise (collection Koenigs), hongroise ou allemande sont, comme le Trésor de Priam, dans les réserves du musée Pouchkine à Moscou.
Le débat international qui s'est ouvert à propos de cet « art de butin » a atteint sa plus grande ampleur en janvier 1995, lors du congrès The Spoils of War qui s'est tenu à New York. Ces butins de guerre qui ont été prélevés sur l'héritage d'un grand nombre de pays européens doivent-ils être rapatriés ? Ou bien suffit-il – c'est l'opinion qui a été soutenue au congrès américain par Irina Antonova, directrice du musée Pouchkine – de rendre ces œuvres accessibles au public ? Quelle attitude adoptent les différentes nations européennes à l'égard de leur héritage ?
Patrimoine et réglementation internationale
Le patrimoine, notion familière au monde occidental depuis l'Antiquité (où elle est liée à la notion d'héritage), est désigné par exemple dans la convention de La Haye du 14 mai 1954 sur la protection des biens culturels dans les conflits armés par les termes d'« héritage culturel de l'humanité tout entière », mais il est entendu, dans ce traité ratifié et mis en vigueur par la plupart des États, comme une propriété nationale conservée par les nations au profit de l'humanité. Dans le cas d'engagements armés, il ne saurait par conséquent être pris, en vertu de cette convention et d'autres plus anciennes, comme le règlement sur la guerre terrestre de La Haye de 1907, comme butin de guerre ou à des fins de « réparations ». En outre, on avait fixé en Europe, dès le xixe siècle, une liste d'interdits relatifs à ce patrimoine. Les biens culturels propriété de l'État et de l'Église ne sauraient être vendus, même en période de crise ou de dépression, pour couvrir des déficits budgétaires. Cette règle a été respectée dans une très large mesure par les gouvernements des États, qui sont dans la plupart des cas directement ou indirectement les autorités de tutelle des musées, des châteaux, des bibliothèques et des archives. Enfin, au moyen de mesures législatives, les États européens ont eu à cœur, dès le xixe siècle, de mettre à l'abri d'une sortie du territoire national les éléments du patrimoine revêtant une « importance nationale » toute particulière.
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Écrit par
- Klaus GOLDMANN : Oberkustos, Museum für Vor- und Frühgeschichte Staatliche Museen zu Berlin, Preussischer Kulturbesitz, Vorsitzender : Museumdorf Düppel e.V., Berlin
Classification
Médias
Autres références
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RESTITUTION DES BIENS CULTURELS
- Écrit par Krzysztof POMIAN
- 6 802 mots
...est différente : on peut restituer une œuvre illicitement expatriée, mais comment compenser la destruction des œuvres par définition irremplaçables ? Et cela surtout quand elle était non pas accidentelle, mais due à des opérations militaires et préméditée en vue de priver un peuple de son patrimoine...