ŒUVRES DE JEUNESSE (G. Flaubert)
La Bibliothèque de la Pléiade avait réservé jusqu'ici à Gustave Flaubert un sort bizarrement inégal : d'un côté, une bonne édition de la Correspondance par Jean Bruneau (4 volumes étaient parus au moment de la publication de ces Œuvres de jeunesse, le cinquième est sorti en 2007) et, de l'autre, pour les œuvres proprement dites, une édition réduite aux « grands textes » et dénuée de tout appareil critique. La parution en 2001 du premier volume des Œuvres complètes constitue la première étape d'une véritable entreprise éditoriale (chronologique et complète, en cinq volumes, dirigée par Claudine Gothot-Mersch depuis la disparition de Guy Sagnes) destinée à réparer cette surprenante lacune. Ce premier volume, consacré aux Œuvres de jeunesse, s'étend de 1831 à 1845 : il comprend tous les écrits connus du jeune Flaubert, des textes scolaires du début des années 1830 aux notes du Voyage en Italie de 1845. Bien qu'appartenant au même ensemble, le voyage en Bretagne et en Touraine de 1847 (rédigé par Flaubert et Maxime Du Camp sous le titre Par les Champs et Par les Grèves) ne sera publié que dans le second tome pour d'évidentes raisons de dimensions.
Sans comporter véritablement d'inédits, ce volume des Œuvres de jeunesse contient quelques nouveautés, notamment parmi les textes scolaires : des devoirs d'histoire naturelle (Flaubert excellait dans cette discipline où il avait pour professeur Pouchet, le directeur du Muséum de Rouen) et une dissertation d'histoire, « La lutte du Sacerdoce et de l'Empire », dont on ne connaissait jusqu'ici qu'un fragment. En revanche, l'édition ne donne pas la transcription des innombrables notes de lectures des années 1830-1845, ni des brouillons et textes de genèse de cette période : seuls quelques documents (notamment des « scénarios ») sont proposés en appendices. À défaut d'inédits, la plupart des textes publiés ont pu être établis, et dans certains cas pour la première fois, sur les manuscrits originaux : ainsi en va-t-il notamment pour les Mémoires d'un fou (dont l'autographe, appartenant à un fonds privé, a pu être consulté à titre exceptionnel), ou pour L'Éducation sentimentale de 1845 (fonds Bodmer, Suisse). Dans quelques cas, documents originaux et microfilms ont fait défaut : malgré une enquête serrée, Claudine Gothot-Mersch n'a pu retrouver les manuscrits du drame historique Louis XI et du Voyage aux Pyrénées et en Corse, détenus par des collections privées non identifiées. Quant au manuscrit de Novembre, dont la trace était également perdue depuis longtemps, un hasard a voulu qu'il fît une brutale réapparition en vente publique à Paris en juin 2001, malheureusement trop tard pour que l'établissement du texte et l'annotation pussent être enrichis par les leçons de ce précieux document (mais ils le seront certainement lors de la prochaine réédition du volume).
Avec 1 200 pages de textes, 450 pages de notes, notices et variantes, et près de cent pages de présentation et introduction, ce monumental volume des Œuvres de jeunesse constitue une édition de référence pour les quinze premières années de la carrière littéraire de Flaubert. D'ores et déjà, quelque chose est changé dans l'image que l'on se faisait d'un jeune écrivain écrivant sans repentirs. Conformément à la vulgate, plusieurs des textes de jeunesse portent bien la marque de la rapidité. Mais les manuscrits d'autres œuvres prouvent que Flaubert a expérimenté très tôt d'autres techniques d'écriture, plus en rapport avec le rythme de travail qui sera le sien dans la maturité, revenant à plusieurs reprises sur le même passage, permutant les épisodes, utilisant un système d'écriture en « mosaïque », remaniant la structure du récit, intercalant ici et là des copies au net qui manifestent la présence de corrections ou de[...]
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Écrit par
- Pierre-Marc de BIASI : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de l'Université, docteur en sémiologie, chargé de recherche au CNRS, directeur adjoint de l'Institut des textes et manuscrits modernes
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