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MALADES MENTAUX ŒUVRES DES

Dans L'Art des fous, la clef des champs, André Breton fait l'éloge de l'art des malades en ces termes : « Les mécanismes de la création artistique sont ici libérés de toute entrave. Par un bouleversant effet dialectique, la claustration, le renoncement à tous profits comme à toutes vanités, en dépit de ce qu'ils représentent individuellement de pathétique, sont ici les garants de l'authenticité totale qui fait défaut partout ailleurs et dont nous sommes de jour en jour plus altérés. » Un tel texte montre la valeur que le xxe siècle attribue aux peintures de la folie, lues comme œuvres de vérité et de liberté.

Le rapport entre la société occidentale et la folie est en voie de transformation. Il ne s'agit plus simplement d'enfermer les malades, de les exclure. La curiosité, l'intérêt scientifique se tournent vers cet autre radical que semble constituer la maladie mentale et vers les expressions propres de cette maladie. On veut considérer l'art des malades comme la parole de cette altérité, peut-être révélatrice de l'inconscient.

Trouver des œuvres constituées hors des normes de la culture dominante ; étudier les rapports entre créativité et troubles psychiques ; approcher, par la médiation de la pathologie, les problèmes de la genèse des œuvres : telles sont les espérances qui commandent l'intérêt porté à l'art des malades. Mais des problèmes préalables se posent, qui concernent le statut des œuvres et les corpus sur lesquels les recherches peuvent porter. Les espérances risquent d'être en partie déçues.

Une notion controversée

La notion même d'un art des malades mentaux peut être refusée. Deux types d'arguments, radicalement opposés entre eux, obligent à critiquer cette notion, et à en limiter la portée.

Certains, implicitement ou explicitement, fondent leur raisonnement sur une philosophie de la conscience et de la volonté. Pour eux, la production artistique représente le plus parfait exemple de la création volontaire et libre ; cette liberté leur paraît incompatible avec la situation de malade mental, situation qu'ils définissent comme l'involontaire pur, l'inconscience des fins et des moyens, l'esclavage de la déraison.

Dans Les Voix du silence, André Malraux semble avoir exprimé cette radicale opposition de la manière la plus précise possible : « Le vrai fou, parce qu'il ne joue pas, possède authentiquement un domaine commun avec l'artiste : celui de la rupture [...]. Mais le fou est prisonnier du drame auquel il doit son apparente liberté : sa rupture, qui n'est pas conquise sur d'autres œuvres d'art, qui lui est imposée, n'est pas orientée. Sa peinture s'apparente par là à celle des enfants, étrangère au pastiche par l'enfance même. La rupture de l'artiste est un secours et un moment de son génie, celle du fou est une prison. » Psychiatre et théoricien de la psychiatrie, Henry Ey exprime une conception voisine. Pour lui, l'artiste fait du merveilleux. L'aliéné peut être merveilleux : il ferait corps avec son œuvre, sans qu'une distance soit possible entre le producteur et la production. Il n'y aurait pas d'art des malades. Les expressions esthétiques de la folie seraient alors de l'ordre de la nature, non de la culture. Les conceptions qui voient dans l'art un dialogue parfait, une communication idéale, opposent, elles aussi, art et folie : les intentions de l'artiste seraient pleinement conscientes à l'artiste et transparentes au spectateur de l'œuvre ; le malade mental ne saurait pas ce qu'il dit et il ne voudrait ni ne pourrait communiquer avec autrui. Cette idéologie de la communication est contestable.

D'autres, au contraire, affirment qu'il est possible que l'art naisse dans les asiles ; l'hôpital psychiatrique leur apparaît[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie de l'art à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art, écrivain

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