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MALADES MENTAUX ŒUVRES DES

Les mondes des malades

Par profession, le psychiatre ne saurait isoler l'œuvre de l'auteur. Il s'efforce de lier la production des sujets et leurs troubles. Il constate parfois qu'une aggravation (ou une amélioration) de l'état d'un malade, cliniquement encore invisible, peut être annoncée par une modification de son style. En d'autres cas, cette modification est au contraire plus lente que les changements notés par l'observation clinique.

Divers chercheurs (F. Minkovska, G. Ferdière, R. Volmat...) se sont efforcés de lier styles de production et maladies. En état d'excitation aiguë, le maniaque se plaît à des gribouillages éclaboussés de taches ; plus tard, il travaille souvent sur des papiers sales ou déchirés ; des textes écrits dans tous les sens, des signes se mêlent à des représentations érotiques et scatologiques. Le grand mélancolique cesse toute production spontanée. Dans un groupe, certains mélancoliques traduisent par des formes des sentiments de culpabilité, d'autopunition ; ils préfèrent les couleurs sombres, n'utilisent qu'une petite partie de la surface du papier qu'on leur donne. Les œuvres des schizophrènes sont souvent « bourrées » d'éléments ; des répétitions, des stéréotypies peuvent être notées, des remplissages minutieux à fin décorative ; les encadrements sont importants ; un goût pour la géométrie s'y révèle ; les couleurs paraissent souvent arbitraires par rapport au monde perçu et ont parfois une valeur symbolique ; des condensations de formes, des « agglutinations d'images » aboutissent à des monstres ; à la perspective classique se substituent la multiplication des points de vue et la fiction de la transparence des objets ; des symboles polyvalents, des éléments délirants apparaissent. L'aridité des déserts, le morcellement des corps sont frappants dans certaines œuvres de schizophrènes. Il convient cependant d'être prudent dans l'application de ses catégories.

Les cliniciens, armés de notions psychanalytiques, se sont particulièrement intéressés à l'image du corps telle que l'expriment les œuvres : corps-plante ou corps mécanisé ; dédoublement des personnages, démembrement, organes mutilés. Ils notent les visages liquéfiés, barrés, masqués, déformés, etc. C. Wiart a étudié les aventures de l'œil dans un certain nombre d'œuvres. D'autres études s'appuient sur une théorie qui lie la psychologie de l'individu et ses rapports aux quatre éléments. Le docteur O. Wittgenstein propose ainsi aux malades vingt-quatre thèmes groupés sous les noms des quatre éléments ; pour la série de la terre : caverne, cabane, maison, cour, champ, terre. « Une caverne peut reposer sur des piliers, être enveloppante, protectrice et conservatrice. Elle peut être une cavité, une dépression géologique, une caverne celant de la terre ou des racines, l'intérieur d'un œuf ou d'un ventre, le sein d'une mère ou bien un utérus, une fissure dans le corps, un tripot, un repaire de dragon, l'enfer même. »

Certaines recherches utilisent les travaux des linguistes. G. Rosolato, C. Wiart et R. Volmat ont classé en deux grandes catégories 857 œuvres faites par 68 malades : les œuvres immédiatement significatives (d'ordre métonymique) et celles dont l'ambiguïté est immédiatement flagrante (d'ordre métaphorique). Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre à partir de l'idée que l'on se fait généralement de l'art des malades, l'aspect « métonymique » domine dans les peintures (91,75 p. 100) ; la prédilection des femmes pour cette catégorie est à noter. Les œuvres proprement « métaphoriques » sont rares et se distribuent surtout chez les schizophrènes hommes. On remarquera que les œuvres examinées ainsi étaient produites en ateliers. Sur des œuvres faites en d'autres conditions,[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie de l'art à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art, écrivain

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