ŒUVRES (G. Henein)
Après la mort de l'écrivain en 1973, Sarane Alexandrian avait signé un Georges Henein chez Seghers (1981) tandis que la revue Grandes largeurs publiait sa correspondance avec Henri Calet. Sous la direction de Pierre Vilar, l'édition des Œuvres (2006), qui rassemble un large choix de poèmes, récits, essais, articles et pamphlets, constitue désormais la source la plus fiable et la plus riche des textes de l'écrivain. Une biobibliographie très solide rappelle l'essentiel d'un parcours atypique et d'une production littéraire qu'on avait largement oubliée. Yves Bonnefoy et Berto Farhi complètent l'information par deux Préfaces complices : « Georges Henein, désormais » pour le premier et « Avant-partir » pour le second.
Né au Caire en 1914 dans un milieu aisé de diplomates et de confession copte, Georges Henein parle plusieurs langues et rédige la quasi-totalité de son œuvre en français. Sa jeunesse est marquée par la rencontre déterminante d'André Breton qui très vite le considère comme un héraut majeur du surréalisme hors de France. Animateur de plusieurs groupes ou revues au Caire, il délaisse progressivement la littérature après la guerre pour s'orienter vers le journalisme et s'installer définitivement à Paris à partir de 1962, quand Nasser l'expulse d'Égypte. Il écrit dans L'Express et diverses revues françaises, et devient le rédacteur en chef de Jeune Afrique. S'il lui est arrivé de considérer cette fonction comme alimentaire, elle correspond pourtant à ses talents d'observateur politique au cœur des échanges douloureux entre l'Occident et les pays émergents du Tiers Monde.
Cette édition des Œuvres organise le propos de façon claire en sections qui correspondent aux grands genres dans lesquels s'est illustré l'écrivain : Daniel Lançon réunit et présente l'œuvre poétique, Marc Kober analyse les récits de fiction, Pierre Vilar classe et interprète les essais, articles et pamphlets. L'œuvre d'Henein s'anime autour de lignes de force violentes et contradictoires qui fondent toute sa pensée. On y décèle une tension entre la fidélité au surréalisme d'André Breton et le désir de formes plus libres comme celles que souhaitèrent explorer des groupes comme Cause, les Essayistes ou Troisième convoi. On y trouve aussi l'exaltation d'un dialogue intérieur entre la pensée politique engagée sur la voie de l'émancipation humaine et le désespoir qui condamne l'être tout entier. Enfin, la dialectique incessante entre le sentiment d'une solitude radicale et le besoin d'écouter la parole de l'autre quand passionnément elle donne du sens à la vie est une autre constante de ces œuvres. La perspective cavalière que permet la réunion de textes d'origine très diverse montre comment l'expression du moi lyrique n'est pas incompatible avec une extrême capacité d'écoute qui fait de Henein un archilecteur subtil, qui ouvre à d'autres les pistes vers l'interprétation aiguë de textes complexes. À chaque fois et sans esprit de système, il glisse ses pas dans ceux des auteurs qu'il commente pour en restituer le projet littéraire. Peu soucieux de critique académique, commerciale ou consensuelle, il est parfois conduit à dénoncer l'imposture éthique et esthétique de ceux qui, comme Aragon, ont trahi leurs engagements premiers pour laisser place aux écritures de propagande (Qui êtes-vous, Monsieur Aragon ?, 1945). Les poèmes de jeunesse de Henein sont marqués par les procédés surréalistes tels qu'ils ont été mis en forme par les Manifestes une dizaine d'années auparavant : proches du poème automatique bien souvent, ils expriment la révolte contre les pouvoirs établis, la religion et l'argent (La Force de saluer, posthume 1977). La violence[...]
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
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