OF TIME AND THE CITY (T. Davies)
Un film documentaire ? Un essai ? Un pamphlet ? Un poème ? Une confession ? Une rêverie ? Un testament ? Of Time and the City, que Terence Davies signe en 2008, année où la ville de Liverpool est « capitale européenne de la culture », est tout cela à la fois. De fait l'œuvre du cinéaste est largement autobiographique et Liverpool, sa ville natale, y occupe une place centrale. On n'a pas oublié Distant Voices, Still Lives (1988) et The Long Day Closes (1991), les deux longs-métrages qu'il a consacrés à sa famille et à son enfance. Davies ne manque pas d'évoquer également sa douloureuse expérience de la religion catholique et son rejet d'une foi qui fut celle de l'enfance.
Dans la même optique autobiographique, il dira qu'il n'a été heureux dans sa vie que durant quelques années : après la mort de son père (ce tyran domestique, à la violence imprévisible, évoqué dans le premier long-métrage et incarné à l'écran par l'étonnant Pete Postlethwaite), et avant la découverte – source de nouveaux tourments – de son homosexualité.
Quant au Liverpool de son enfance, il est clairement circonscrit : la petite maison familiale, la rue, le quartier, l'école, l'église. Et surtout les cinémas du voisinage, avec leurs « grands films » venus d'Hollywood et leurs « petits films » anglais. Il n'y avait pas moins de huit salles de cinéma, dit-il. Toutes ont disparu. Le Liverpool de Terence Davies, désormais « étranger dans son propre pays », est ainsi celui des années 1940 et 1950, celui de l'enfance et de l'adolescence. Un Liverpool de la mémoire. « La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur d'un mortel », écrit Baudelaire. Davies ne dit rien d'autre.
Liverpool, une ville marquée par l'Histoire, qui se sent et se veut « en marge » du reste de l'Angleterre. N'y parle-t-on pas une langue particulière, le scouse ? Une ville tournée vers l'Atlantique aussi : d'abord, avec le commerce « triangulaire » et la traite des noirs au xviiie siècle, puis avec le commerce du coton destiné aux usines de Manchester, la rivale détestée. La richesse ne fait que passer, la pauvreté reste. Par la suite, Liverpool sera envahie par les Irlandais chassés de leur île par la potatoe famine de 1847. Et près d'un siècle plus tard, elle sera bombardée par l'aviation allemande, avant de devenir le principal port accueillant les forces militaires américaines.
Avec les années 1960, Liverpool accède à la notoriété internationale, grâce à deux phénomènes particuliers : deux équipes de football, les Reds et Everton, et bien sûr, les Beatles.
Terence Davies ne nourrit aucune illusion sur le Liverpool de jadis, où le prolétariat, constamment menacé par le chômage et la plus noire des misères, survivait plus qu'il ne vivait, dans des conditions misérables de logement et d'hygiène. Sur ce « petit peuple », modeste et courageux, dont il est issu, il porte un regard ému et fraternel, en sélectionnant des photographies officielles et privées, des fragments de films de tous formats. En ce sens, il s'inscrit, à sa manière, dans la continuité du travail documentaire conduit par un grand cinéaste des années 1930 et 1940, Humphrey Jennings, et de courts-métrages comme Spare Time ou Listen to Britain.
Que nous montre Of Time and the City ? Une population mobilisée dans les usines, dans les mines, sur les navires, sur les quais. Une mobilisation qui concerne aussi bien le temps des loisirs, dans les pubs, dans les stades bondés où le football règne en maître, sur le champ de courses d'Aintree et jusqu'aux plages de New Brighton. « Ferry, Cross the Mersey... » : la comptine résonne à notre oreille.
Au tournant des années 1950, c'est la fin de l'Empire colonial britannique, sur lequel le soleil[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Philippe PILARD : réalisateur, fondateur et président de l'Agence du court-métrage, Paris
Classification