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OH LES BEAUX JOURS (S. Beckett) Fiche de lecture

Une implacable lucidité

Beckett a toujours résisté à l'embrigadement de son œuvre dans un mouvement quelconque (le nouveau roman, le théâtre de l'absurde…), tout comme aux diverses interprétations qu'elle n'a pas manqué de susciter, autant par refus des lectures réductrices que par méfiance à l'égard de tout « arrière-texte » (ni symboles ni allégories ni métaphores), comme d'ailleurs de tout « arrière-monde ». Dans En attendant Godot, Godot n'arrive jamais et, ici, Winnie prie sans conviction. Englué dans son mamelon comme dans une durée sans repères, à la fois circulaire, figée et menant irrémédiablement à la décrépitude et à la mort, le personnage n'est rien d'autre que son corps et son langage, c'est-à-dire ses gestes et sa parole, au détriment même de toute véritable psychologie, comme le confirme, dans le texte imprimé, la prolifération des didascalies.

Or dans Oh les beaux jours (comme dans Fin de partieou Comédie, notamment), le corps se montre d'abord entravé, empêché : Winnie, à demi puis aux trois quarts enterrée, voit ses capacités sensorielles et son périmètre d'action se réduire progressivement. Quant à Willie, plus avancé encore sur la voie de la déchéance, il reste terré dans son trou comme un animal dans son terrier. Pourtant, Winnie ne renonce pas. Ses gestes, dérisoires et mécaniques (la sonnerie, au début de chaque acte, semble enclencher la mise en marche d'un automate), témoignent, autant que de sa faiblesse et de son impuissance, de son inexpugnable vitalité. De même, à travers sa logorrhée parataxique – juxtaposition de phrases brèves, souvent sans verbe ou sans sujet –, persiste-t-elle jusqu'au bout à tenter de dire le réel et à nouer un dialogue impossible avec Willie. Lequel, dans un ultime effort, sans doute fatal, essaiera de rejoindre sa compagne.

Vision tragique de l'existence et de la condition humaine (la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est encore bien présente) et mise en scène sarcastique de l'incapacité du langage à signifier (le monde, le moi...), ou indéfectible humanisme et hymne obstiné à la vie ? On ne tranchera évidemment pas entre deux lectures parfaitement compatibles et complémentaires. Ce qui les réunit ? Dénuée de tout pathos – un point sur lequel Beckett insistait tout particulièrement quant au jeu des acteurs –, la pièce ne se départit jamais d'un humour qui, comme on le sait, n'exclut pas le désespoir mais lui confère dignité et tenue.

— Guy BELZANE

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<em>Oh les beaux jours </em>de S. Beckett, mise en scène de Roger Blin - crédits : Yves Leroux/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Oh les beaux jours de S. Beckett, mise en scène de Roger Blin