DUUN OLAV (1876-1939)
L'évolution personnelle de ce petit chevrier du Trøndelag, qui entreprit des études à vingt-cinq ans pour se faire enseignant et commença à publier à trente et un ans des romans fortement marqués par Dostoïevski pour finir par écrire des œuvres expérimentales qui sont une grave méditation sur la condition humaine, est tellement caractéristique et symbolique que bien des Norvégiens n'hésitent pas à tenir Olav Duun pour le plus grand de leurs romanciers, malgré Knut Hamsun ou Sigrid Undset. Entrée avec quelque retard dans la grande mutation industrielle, la Norvège devait vivre en raccourci le passage souvent dramatique de la culture rurale traditionnelle à la civilisation urbaine. Nul mieux que l'auteur des Gens de Juvik (Juvikfolke, 1918-1923) ne devait aider les Norvégiens à passer de l'ancienne conception médiévale de l'existence aux problèmes posés par la vie moderne. Son premier mérite est d'avoir su le faire avec un art souverain, riche de chaleur humaine et maîtrisant tous les tons : le conteur populaire de Trois Amis (Tre Venner, 1914), le fin psychologue de La Bonne Conscience (Det gode samvite, 1916), l'intimiste lyrique, voire l'humoriste de Harald (1915), l'auteur satirique de Carolus Magnus (1928) allait découvrir, non seulement avec Les Gens de Juvik, mais aussi avec la grande trilogie Nos semblables (Medmenneske, 1929), Ragnhild (1931) et Dernières Années (Siste leveåre, 1933), le ton épique qui anime ses vastes fresques et donne un sens profond à son inspiration.
Car derrière les prestiges de la couleur locale, la sympathie innée, qui rappelle Knut Hamsun, pour la rude peine des hommes du Nord, il faut lire une passion solide pour le Norvégien de toujours et, au-delà, pour l'homme à la fois fasciné et menacé par les redoutables prestiges du modernisme. Comment rester fidèle à ses racines millénaires tout en progressant courageusement vers l'avenir inconnu, telle est la question. La réponse est dans une fidélité à la nature humaine profonde, dans une patiente maïeutique qui fera surgir du cœur et de l'imagination les réactions nécessaires à l'évolution de la conjoncture, dans la ligne qu'ont tracée des siècles de courage et de ténacité. Lorsque, les événements se précipitant, l'essentiel deviendra de défendre l'homme contre les puissances de dissolution qui le guettent, Duun saura montrer, toujours à la faveur d'affabulations clairement parlantes et chaudes de sympathie, que l'homme est fait de ses contradictions, que les luttes secrètes qui déchirent son âme font sa grandeur parce qu'elles établissent l'universalité de sa personne. En quoi triomphent le thème de notre responsabilité ainsi que la chaude tendresse sans grandiloquence qui, seule, peut nous faire aimer la vie.
« Quand on aura enlevé la terre au-dessous de nous et le ciel au-dessus, il restera que nous sommes tout de même des hommes... » : il y a plus qu'une méditation sur la destinée norvégienne dans cette œuvre énergique et prenante ; il y a un affrontement lucide et courageux, servi par un art généreux, des forces de destruction qui, sans cesse et partout, défient la volonté de vivre.
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Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Autres références
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NORVÈGE
- Écrit par Marc AUCHET , Régis BOYER , Georges CHABOT , Encyclopædia Universalis , Lucien MUSSET et Claude NORDMANN
- 24 666 mots
- 24 médias
...chantent. Ce sont Kristoffer Uppdal (1878-1961), Johan Falkberget (1879-1967) et Oscar Braaten (1881-1939). Mais là encore, deux grands noms dominent. D'abord Olav Duun (1876-1939), qui dépeint les luttes des paysans et des pêcheurs en changeant sans cesse de registre : épique, psychologique, lyrique, humoristique....