CROMWELL OLIVER (1599-1658)
Du général au chef d'État
Le 12 décembre 1653, Cromwell se laisse convaincre de prendre directement les rênes d'un Commonwealth que les civils n'ont décidément pas réussi à gouverner. Il le fait à contrecœur, convaincu que la force ne crée par le droit, qu'il n'y a pas de fondement juridique à un pouvoir né de la volonté d'une armée. Mais il s'y résout parce que la Providence, manifestement, ne lui en laisse pas le choix et aussi parce que, au cours des années écoulées, il avait parachevé la pacification intérieure en même temps que participé à tous les efforts de légalisation d'un pouvoir civil.
Chef d'armée, il a été l'homme de la féroce répression du soulèvement de l' Irlande en août-septembre 1649 : le massacre de Drogheda, le 12 septembre, où « Dieu [reconnaîtrait] les siens » est une page particulièrement sanglante dans une expédition qui aboutit à la sujétion des Irlandais et à la dépossession de nombre d'entre eux en faveur de colons issus de l'armée ou de créanciers de l'État dotés de « plantations » (domaines coloniaux). C'est au tour de l'Écosse d'être soumise grâce aux victoires de Dunbar (en septembre 1650) et de Worcester (en septembre 1651). Cromwell, commandant en chef, a été assisté du général Monck. Le général vainqueur a été à même d'influer sur toutes les grandes décisions, il est celui à qui s'adressent, pleins d'un fol espoir, des réformateurs utopiques comme Gerrard Winstanley, inspirateur du mouvement des bêcheurs (diggers), il incite à la guerre contre la Hollande, à des encouragements aux Frondeurs de Bordeaux, et, en avril 1653, sait assumer la responsabilité de chasser le Parlement croupion qui sera remplacé par le « Parlement des Saints ».
L'Instrument de gouvernement, première et seule Constitution écrite de l'Angleterre, lui confie, à titre viager, avec le titre de Lord protecteur des royaumes d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, le pouvoir exécutif, avec l'assistance d'un Conseil et la collaboration d'un Parlement. En fait, l'État était fondé sur le pilier militaire et au profit des classes possédantes, seules admises aux droits politiques, et Cromwell, à la jonction de ces deux forces, en était à la fois l'incarnation, le serviteur, mais aussi l'inspirateur.
Chef d'État, il est un dictateur malgré lui. Il ne réussit pas mieux avec les Parlements qu'il convoque que les souverains qui l'ont précédé. L'Humble Pétition et Conseil, voté par l'assemblée de 1657, lui confère pourtant, avec le pouvoir héréditaire, le droit de désigner son successeur, mais non pas le titre royal qu'il refuse obstinément. Appuyé (en 1655-1656) sur des régions commandées par des majors généraux, son pouvoir est indiscuté malgré quelques tentatives de soulèvement sporadiques de « Cavaliers » ; il est un arbitre indispensable... et en fait irremplaçable. En cinq ans, il imprime sa marque durable sur les destinées anglaises. Il tente de définir un ordre religieux et moral. Comme John Milton, il est l'adversaire de tout monopole d'État, et sa tolérance ne connaît que les limites du rejet du catholicisme romain, de l'anglicanisme et du charlatanisme : l'État doit être le garant de la probité et des capacités des curés de paroisse. En 1657, on se garde, en instaurant une Église nationale, de lui conférer un monopole. Les refus, quand ils concernent des sectes, s'adressent aux « agitées » ou aux révolutionnaires, ranters, quakers et « blasphémateurs » unitariens. Il autorise, par contre, le retour des juifs, chassés du pays en 1290. Le Protecteur est intransigeant sur les questions de morale publique, et ses mesures visent à faire du pays un modèle d'austérité et de rigueur. C'est en partie à ce souci qu'on reliera ses efforts en faveur de la création d'écoles[...]
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Écrit par
- Roland MARX : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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