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CROMWELL OLIVER (1599-1658)

De la mort à la légende

Le 3 septembre 1658, épuisé, Cromwell achève de mourir. Ses obsèques sont célébrées avec un faste royal à Westminster, où il est enterré. Et, bientôt, l'écroulement de son œuvre paraît condamner l'effort d'une vie et devoir conduire à des jugements sévères. Son fils Richard, Protecteur malgré lui, abdique en mai 1659, et sa succession est disputée par des généraux ambitieux, qui dévoient l'armée pour en faire l'instrument de leurs intérêts égoïstes. Jusqu'à ce que le dernier vainqueur, Monck, juge opportun de restaurer la royauté pour garantir enfin un ordre légitime et durable. Avec la Restauration, on assiste aussi au retour de l'Église anglicane et de l'intolérance envers les sectes. Et, dans le soulagement qui suit les désordres et les contraintes, interviennent un extraordinaire relâchement moral et la réhabilitation de bien des loisirs interdits. À l'extérieur, Dunkerque est revendue à Louis XIV, et il faut attendre 1689 pour que l'Angleterre renoue avec une grande politique internationale. Signe suprême de disgrâce, les restes de Cromwell sont ignominieusement exhumés et, après une exécution symbolique, par pendaison et décapitation, dispersés le 30 janvier 1661.

La réhabilitation a été progressive, mais étonnante : elle témoigne autant des évolutions historiques en Grande-Bretagne que d'un révisionnisme appliqué à un individu exceptionnel. Considéré pendant plus de vingt ans au mieux comme un prince machiavélique, et par définition sans scrupules, au pire comme un traître aux idées républicaines ou démocratiques, il apparaît, au temps de la Glorieuse Révolution de 1688, comme un précurseur plausible des luttes pour la liberté et le protestantisme. Le xviiie siècle est partagé entre la dénonciation du tyran régicide et l'admiration pour certaines de ses œuvres. L'historien Thomas Macaulay lui apporte enfin, à l'âge romantique du libéralisme, la reconnaissance d'une personnalité d'élite, qui aurait promu les intérêts des classes moyennes en sympathie avec « les sentiments et les intérêts du peuple » ; il devient alors « un homme doté du cœur élevé, solide et honnête d'un Anglais ». Et, au temps du chartisme et de la revendication démocratique, des sujets de Victoria se reconnaissent dans l'adversaire des « niveleurs ». Le protestant français François Guizot, partisan du pouvoir bourgeois, accorde aussi à Cromwell le mérite d'avoir restauré l'ordre au prix des libertés, mais dans le souci élevé de la religion et de la morale. Crédité encore d'avoir été le champion du protestantisme, l'inspirateur de l'impérialisme, l'homme est, au xxe siècle, quelque peu la victime des interprétations marxistes de l'histoire, qui l'acquittent de ses crimes et faiblesses en le transformant en l'instrument d'un équilibre social en devenir. Que, devant Westminster, aujourd'hui, figure la statue du Protecteur, lion britannique à ses pieds, signifie aussi que le défenseur des droits des Communes a fait quelque peu oublier le dictateur. En fait, Cromwell a été évoqué aussi bien par comparaison à un Napoléon, le Grand ou le « Petit », qu'à un Robespierre ou un Danton. Même si Edmund Burke, héraut de la contre-révolution, a, dès 1790, décrit un Cromwell fidèle à la tradition de ses ancêtres.

Retenons le jugement de l'historien français Olivier Lutaud : « On ne saurait isoler Cromwell, car il se dresse parmi maintes figures... Mais il les domine, étant animal politique. Non au sens d'Aristote, ni de la Renaissance, mais de race anglaise, qui cherche, flaire, médite plutôt qu'elle ne déduit ; puis qui fonce. » La légende de Cromwell, comme la légende napoléonienne, est née de la comparaison avec de plus médiocres talents avant, pendant et[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Oliver Cromwell - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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