MESSIAEN OLIVIER (1908-1992)

Les rythmes

Messiaen note toujours exactement les durées. Lorsqu'il écrit une « musique amesurée », il utilise les barres de mesure non pour diviser le temps en fractions régulières, mais pour marquer les périodes musicales et limiter l'effet des altérations (dièses, bémols, etc.). Certaines particularités donnent à son écriture rythmique raffinement et complexité :

– La valeur ajoutée est une valeur brève (note, point ou silence) qui, adjointe à un rythme quelconque, en décale le déroulement.

– Les rythmes augmentés ou diminués sont employés sous des formes diverses : ajout ou retrait du point, augmentation ou diminution de tout ou partie des valeurs qui constituent un motif rythmique par ajout ou retrait d'une fraction de chacune. Ces différentes modifications permettent de réaliser une grande variété de canons rythmiques.

– Les rythmes non rétrogradables (deux groupes rythmiques symétriques autour d'une partie centrale) donnent le même résultat s'ils sont lus de droite à gauche ou de gauche à droite.

– La polyrythmie superpose soit des rythmes de longueurs différentes, soit un rythme à ses différentes formes augmentées ou diminuées, soit un rythme à son rétrograde.

– La pédale rythmique est un ostinato qui se répète indépendamment des autres rythmes qui l'entourent.

– Les valeurs irrationnelles sont des divisions irrégulières des temps et des mesures (triolets, quintolets, etc.).

– La gamme chromatique de durées est faite des multiples d'une unité de base, par exemple une triple croche, deux triples croches..., n triples croches. Chacune des façons différentes de grouper les valeurs de la gamme correspond à une de ses permutations.

D'autres éléments sont utilisés par Messiaen ; il emprunte à la rythmique grecque et indienne, étudie les rythmes des chants d'oiseaux et les rythmes naturels, tels ceux du torrent dans Chronochromie.

Le souci d'une organisation rationnelle et diversifiée à l'extrême des rythmes est constant dans l'œuvre de Messiaen, et son apport dans ce domaine très important. À propos de quelques-uns des procédés ainsi résumés, Pierre Boulez écrit : « Les recherches de Messiaen posent certaines bases qu'il est indispensable de considérer comme acquises » (Relevés d'apprenti).

Les trois « personnages rythmiques » de la Turangalîla-Symphonie sont des groupes ayant chacun un comportement propre : l'un augmentant, l'autre diminuant, le troisième restant stable.

La pièce pour piano Mode de valeurs et d'intensités applique aux hauteurs, rythmes, attaques et intensités la notion de série, que Schönberg et Webern réservaient au paramètre hauteur ; vingt-quatre durées chromatiques y sont réparties en trois divisions. Division 1 : durée chromatique d'une à douze triples croches, utilisée dans la portée supérieure du piano ; division 2 : d'une à douze doubles croches, portée médiane ; division 3 : d'une à douze croches, portée inférieure.

Dans Chronochromie, Messiaen prend comme matériel rythmique de base certaines permutations d'une série de trente-deux valeurs, obtenue à partir d'une gamme chromatique de durées d'une à trente-deux triples croches ; chaque permutation n'est pas faite de durées absolues, mais de rapports absolus.

Les hauteurs

Dans Technique de mon langage musical (A. Leduc, Paris, 1944), Messiaen écrit : « Primauté à la mélodie. Élément le plus noble de la musique, que la mélodie soit le but principal de nos recherches. » Le compositeur utilise des lignes mélodiques issues du plain-chant, des chants d'oiseaux, des ragas (modes) de l'Inde, et surtout des modes à transpositions limitées. Ces modes sont des échelles qui, au bout d'un petit nombre (de deux à six) de transpositions sur les degrés de la gamme chromatique tempérée,[...]