Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ROLIN OLIVIER (1947- )

L’utopie romanesque

La figure du cercle revient, omniprésente : elle donne son nom aux deux recueils constituant les œuvres incomplètes d’Olivier Rolin, Circus (2011 et 2012). Tragique et bouffon, le cirque est ce lieu du jeu, du spectacle qui unit les contraires. De même, le cercle, matérialisé dans la figure du périphérique, guide l’écriture de Tigre en papier, le roman des années maoïstes. Le narrateur raconte ses années de militantisme à une jeune fille dont le père fut le compagnon de lutte, lors d’un trajet en voiture qui semble recommencer sans cesse. Tigre en papier est aussi le roman dans lequel l’ironie, qui marquera de façon plus nette toute l’œuvre, tempère le propos. « La condition paradoxale de ma génération c’est qu’elle aura commencé sa vie sous le signe très impérieux de la politique, et de la politique la plus radicale, et qu’elle s’achemine vers sa fin dans un éloignement de plus en plus grand, et de plus en plus inéluctable, de la politique. » Cette phrase d’Italo Calvino, qui figure en préface de Circus, résume son sentiment. Olivier Rolin ne pensait pas changer le monde mais au moins lutter contre le mépris qui écrasait les humbles. Les idéaux ont laissé place au pire cynisme et les utopies aux crimes de masse.

Reste une utopie vivable : le roman. Rolin partage l’idée que cet art de l’ambigu n’est « jamais arrogant ni terroriste ». Il pense avec Roland Barthes que le roman est « pratique écrite de la nuance ». L’individu y trouve sa place et on le découvre dans sa complexité. « La politique range, écrit-il, le roman dérange. ». Rolin ne manque jamais de citer Vassili Grossman à ce propos, mais aussi Tolstoï. Comme eux, il voit dans le roman une tentative de répondre à des questions non résolues. L’usage de la note de bas de page ou du commentaire, les fins désinvoltes comme le « passez muscade » de Bar des flots noirs sont des façons de rendre la pensée hésitante qui est la sienne depuis sa sortie d’une certaine politique – celle qui amenait à « chanter avec les autres » avant de mettre son frère en prison, pour reprendre l’aphorisme de Michaux dans « Tranches de savoir ». Ne pas chanter avec les autres, c’est aussi aller contre l’esprit du temps. Car « le devoir de l’écrivain, sa façon à lui d’être moderne, c’est de se retrancher de l’extrême contemporain pour transmettre une forme qui disparaît dans une langue qui isole. »

Tous les textes d’Olivier Rolin proposent la même quête de l’expression juste, « inchangeable ». C’est un travail exigeant du temps, de la patience et de l’humilité. « Écrire, on le fait pour arriver à de la beauté », note-t-il. Cette beauté naît du divers, du mouvant, du multiple. Elle naît aussi du détail, comme dans cet extrait de Tigre en papier où Rolin évoque les Mémoires de Victor Serge : « on se bat dans Petrograd, Russes blancs contre bolcheviks, et des balles fusent sur les toits, de derrière les cheminées. Or ce que voit ou se rappelle Serge, c'est la blancheur de la ville dans la nuit arctique, et la couleur du ciel reflétée par les canaux. »

Comme d’autres contemporains, ses amis Antoine Volodine, Pierre Michon ou Patrick Deville, Olivier Rolin déplace les lignes figées. Le souci des genres lui importe de moins en moins. Bakou, derniers jours(2010) emprunte au carnet de voyage comme au journal intime, évoque les poètes admirés et méconnus comme Armand Robin, et les aventuriers, mythomanes ou mégalomanes qui donnent à rire et à rêver. Derrière toutes ces figures, on distingue celle de l’écrivain prenant parfois une pose à la Chateaubriand, pour s’en moquer aussitôt après.

L’œuvre de Rolin n’est pas achevée, même si Bakou, derniers jours reposait sur sa mort supposée, au bord de la mer Caspienne. L’écrivain poursuit son périple dans les périphéries, celles de l’espace comme celles[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Olivier Rolin - crédits : Eric Fougere/ VIP Images/ Corbis/ Getty Images

Olivier Rolin

Autres références

  • LE MÉTÉOROLOGUE (O. Rolin) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 333 mots

    Olivier Rolin est depuis longtemps familier de la Russie, un pays qui, à la fois, l’attire et l’intrigue, où la géographie, l’histoire et la littérature se mêlent inextricablement. Rolin aime l’espace sans fin et les paysages que l’on peut contempler des trains si lents ; il voit aussi dans le ...

  • MÉROÉ (O. Rolin) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 972 mots

    Après avoir étendu le champ de sa réflexion littéraire à l'espace planétaire dans L'Invention du monde (Seuil, 1993), et réduit l'échelle temporelle de ce même livre à une seule journée, Olivier Rolin a choisi comme point d'ancrage la nation de l'Est africain au bord de la...

  • TIGRE EN PAPIER (O. Rolin) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 955 mots

    Depuis ses premiers romans – Phénomène futur, 1983, mais surtout Le Bar des flots noirs, 1987 – les livres d'Olivier Rolin suivent le mouvement circulaire de la mémoire, décrivent des personnages hantés par des souvenirs qui reviennent, par apparitions successives, par chaînes d'images...

  • ROLIN JEAN (1949- )

    • Écrit par
    • 1 300 mots
    • 1 média

    Écrivain français, né à Boulogne-Billancourt le 14 juin 1949, Jean Rolin passe une grande partie de son enfance à Dinard. Sa grand-mère, institutrice, lui donne le goût de la lecture. Comme son frère Olivier, romancier et essayiste, de deux ans son aîné, il est fasciné par les héros de la Résistance...

  • ROMAN - Le roman français contemporain

    • Écrit par
    • 7 971 mots
    • 11 médias
    ...Michel Chaillou, 1945, 2004...). De libres et critiques évocations rétrospectives de Mai-68 et des années militantes paraissent sous la plume d' Olivier Rolin (Tigre en papier, 2002) ou de Jean-Pierre Le Dantec (Étourdissements, 2003), quand d'autres visitent enfin, de ce côté-ci de la Méditerranée,...