OLYMPISME ET POLITIQUE
Le 10 mars 2008, quelques centaines de moines bouddhistes manifestent à Lhassa pour commémorer le soulèvement du peuple tibétain du 10 mars 1959. Dans les jours qui suivent, des milliers de personnes se joignent au mouvement, et ces manifestations sont qualifiées d'« émeutes » par Pékin. Les autorités chinoises répriment dans le sang cette agitation, faisant vraisemblablement plus de cent morts. La communauté internationale s'émeut légitimement. Diverses personnalités politiques critiquent vivement Pékin, les médias du monde entier couvrent largement les événements. Toutes ces réactions relèvent de l'évidence, et on se souvient – ou on apprend – que le Tibet est occupé par la Chine depuis 1950, que son chef charismatique, le dalaï-lama, vit en exil depuis 1959, année où l'armée chinoise a brutalement réprimé le soulèvement du peuple tibétain, causant la mort de plus de quatre-vingt mille personnes. Soudainement, chacun s'émeut du calvaire du peuple tibétain et s'inquiète à nouveau de la situation des droits de l'homme en Chine.
Pourquoi une telle mobilisation internationale ? Tout simplement parce que, du 8 au 24 août 2008, doivent se tenir à Pékin les XXVIes jeux Olympiques d'été, que la flamme olympique est allumée le 24 mars à Olympie et qu'elle va parcourir, jusqu'à l'ouverture des Jeux, 137 000 kilomètres à travers les cinq continents. Ce parcours s'avéra des plus chaotiques, notamment aux étapes de Londres, Paris, San Francisco et Buenos Aires, où des manifestations hostiles ponctuèrent son passage. Dès lors, une sempiternelle question revenait sur le devant de la scène : faut-il boycotter les jeux Olympiques ? Chacun se perdit en atermoiements, mais le boycottage des Jeux de Pékin fut rapidement écarté.
D'autres propositions se firent jour. Certains dirigeants politiques déclarèrent leur intention de ne pas se rendre à la cérémonie d'ouverture. Curieuse démarche, puisqu'il n'est pas dans les us et coutumes olympiques que les chefs d'État honorent massivement de leur présence cette cérémonie (aucun président français n'avait jusqu'alors assisté à une cérémonie d'ouverture de jeux Olympiques se déroulant hors de France). En définitive, quatre-vingt-dix chefs d'État (quatre fois plus qu'à Athènes en 2004) – dont Nicolas Sarkozy – seront présents dans le « nid d'oiseau », le 8 août 2008, pour assister au spectacle mis en scène par Yang Zhimou, entendre le président chinois Hu Jintao déclarer les Jeux ouverts et applaudir l'ancien gymnaste Li Ning, devenu homme d'affaires avisé, lorsqu'il embrasa la vasque olympique. Les appels au boycottage des militants des droits de l'homme auront donc pesé fort peu face à la Realpolitik et au souci de ne pas offenser le pays préféré des investisseurs de la planète. En outre, durant les Jeux, le silence des militants des droits de l'homme se fit, si l'on ose dire, assourdissant. À Pékin, bien sûr, où la liberté d'expression des contestataires potentiels fut sévèrement contrôlée. Mais aussi dans les capitales occidentales : la compétition sportive a tout écrasé sur son passage. Certains champions français souhaitèrent porter à Pékin un badge bien innocent avec la mention « Pour un monde meilleur », inauguré à Paris lors du relais perturbé de la flamme olympique. Henri Sérandour, le président du Comité national olympique et sportif français (C.N.O.S.F.), leur signifia rapidement son veto à cette démarche. Jacques Rogge, président du Comité international olympique (C.I.O.), s'éleva, lui, bien évidemment contre toute idée de boycottage, qui « causerait du tort aux athlètes, mais pas aux Jeux », déclara que le C.I.O. considérait comme « sage l'attribution des Jeux à Pékin ». Et il ajoutait : « La politique[...]
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
Classification
Médias
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