OLYMPISME ET POLITIQUE
Les sportifs ont-ils leur place dans le débat public ?
« Cours et tais-toi », « On ne mélange pas sport et politique », etc. Ces formules éculées reviennent à chaque fois qu'un sportif ose afficher ses opinions ou s'engager dans une action à caractère ouvertement politique – nous ne parlons pas ici des diverses opérations caritatives pour lesquelles ils sont particulièrement bien accueillis et plus que souvent sollicités –, bref ose s'engager dans le débat public.
Ces formules ne résistent cependant pas à la critique. On peut certes reprocher au champion, dont la notoriété n'est due qu'à ses performances sportives, de s'emparer d'une tribune médiatique à laquelle M. Tout-le-Monde n'a pas accès. Néanmoins, la réaction s'avère souvent moins vive lorsque cette tribune se voit occupée par un cinéaste ou une actrice. Il est vrai que, pour certains esthètes de l'analyse politique, le métier de ces derniers revêt un caractère « intellectuel » qui sied mieux à une prise de parole médiatique.
Pour s'inscrire en faux, rappelons d'abord que, dans l'histoire, nombre de sportifs célèbres se sont engagés en politique. Le tennisman Jean Borotra, le « Basque bondissant », fut commissaire à l'Éducation et aux Sports sous le régime de Vichy, de 1940 à 1942 (démis de ses fonctions, il fut arrêté par la Gestapo et déporté). Pelé fut ministre des Sports du Brésil de 1994 à 1998. Le Britannique Sebastian Coe, double champion olympique du 1 500 mètres, fut député conservateur de 1992 à 1997, avant de permettre à Londres d'obtenir les Jeux de 2012. Le perchiste ukrainien Sergueï Bubka fut député de 2002 à 2006. Le footballeur libérien George Weah, Ballon d'or en 1995, fut candidat à l'élection présidentielle dans son pays en 2005 (40,4 p. 100 des voix)...
Dans un autre registre, le boxeur Muhammad Ali épousa la cause des Black Muslims et fut déchu de son titre et condamné par la justice américaine pour avoir refusé de « faire la guerre des Blancs au Vietnam ». Au sujet des manifestations des Noirs américains aux Jeux de Mexico, en 1968, Lee Evans, vainqueur du 400 mètres et qui portait le béret noir du Black Power sur le podium, déclarait en 2008 : « Ces actes politiques ont largement dépassé le cadre du sport. Des proches de Malcolm X m'ont dit que ce que nous avions fait avait joué un rôle considérable dans un mouvement qui a finalement abouti à la reconnaissance, par les États-Unis, de l'égalité des Noirs et des Blancs. » Quant à Tommie Smith, il ne fut réhabilité par les États-Unis qu'en 1998, et le C.I.O., en 2008, ne s'était toujours pas décidé à lever, symboliquement, son exclusion du mouvement olympique. Mais, interrogé à l'occasion des Jeux de Pékin, il indiquait que « lever le poing avait été un honneur ».
Si l'on s'en tient au cas de la France, il suffit d'indiquer que, de Maurice Herzog à Bernard Laporte, plusieurs anciens champions (Alain Calmat, Roger Bambuck, Guy Drut, Jean-François Lamour) furent ministre ou secrétaire d'État chargé des Sports, et qu'ils exercèrent le plus souvent leur mission avec compétence. Et faut-il rappeler que, lorsque le candidat de l'extrême droite se qualifia pour le second tour de l'élection présidentielle le 21 avril 2002, tous les tenants de la démocratie en appelèrent à Zinédine Zidane pour qu'il prenne position dans le débat public, ce qu'il fit tardivement – le 2 mai – en appelant à « voter contre un parti qui ne correspond pas du tout aux valeurs de la France » ? À ce moment-là, l'avis de l'icône du football français semblait avoir plus de poids que celui de tous les intellectuels et artistes réunis !
En outre, certes dans le cadre d'une dérive « people » de la communication politique,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
Classification
Médias
Autres références
-
BAILLET-LATOUR HENRI DE (1876-1942)
- Écrit par Pierre LAGRUE
- 630 mots
Aristocrate belge, le comte Henri de Baillet-Latour fut président du Comité international olympique (C.I.O.) de 1925 à 1942. À ce poste, il s'évertua à maintenir l'olympisme à flot. Mais cela n'alla pas sans quelques compromis à l'occasion des Jeux de Garmisch-Partenkirchen et de Berlin organisés...
-
BERLIN (JEUX OLYMPIQUES DE) [1936] - Les nazis et l'olympisme
- Écrit par Pierre LAGRUE
- 3 142 mots
« Avec ces Jeux, on a mis entre nos mains un instrument de propagande inestimable », peut-on lire dans la presse officielle nazie en 1935. « Nous allons nous mesurer aux nations de la terre et leur montrer quelles forces l'idée de la communauté nationale est à elle seule capable de mettre en...
-
BRUNDAGE AVERY (1887-1975)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 687 mots
L'Américain Avery Brundage fut président du Comité international olympique (C.I.O.) de 1952 à 1972. À ce poste, il fit preuve d'une autorité et d'une intransigeance absolues, ce qui fit de lui un personnage controversé. Contre vents et marées, il voulut maintenir dans toute sa pureté l'idéal olympique...
-
CIO (Comité international olympique)
- Écrit par Pierre LAGRUE
- 10 359 mots
Par ailleurs, il renforce le dogme olympique selon lequel on ne mélange pas sport et politique, une position marquée par plusieurs vilenies. En 1956, la répression de l'insurrection hongroise par l'Armée rouge ne provoque aucune réaction de la part du C.I.O. Par ailleurs, Brundage fait tout... - Afficher les 19 références