BRADLEY OMAR (1893-1981)
La promotion 1915 de West Point a compté trente futurs généraux dans ses rangs, parmi lesquels Dwight Eisenhower et Omar Bradley. Celui-ci, fils d'instituteur, né dans le Midwest, décida d'entrer à l'Académie militaire américaine pour des raisons financières. Sorti sous-lieutenant en 1915, il ne voit le feu qu'en... 1943, alors qu'il est déjà général de brigade. Sa carrière a été jusque-là celle d'un administrateur et d'un enseignant : tactique, mathématiques, armement. Mais il a la confiance du général George Marshall dont il a été l'adjoint à l'école d'infanterie de Fort Benning. Il passe d'ailleurs tout le début du conflit à organiser la formation des dizaines de milliers d'officiers dont les États-Unis vont avoir besoin pour mener l'effort de guerre.
En 1943, Marshall, alors chef d'état-major de l'armée de terre, l'envoie en Afrique du Nord comme aide de camp d'Eisenhower. Bradley est ensuite nommé en Sicile sous le commandement de George Patton, dont il trace dans ses Mémoires (traduits par Boris Vian) un portrait à la fois féroce et admiratif. Il le décrit descendant d'une jeep ornementée d'énormes étoiles, deux colts à crosse d'ivoire lui battant les cuisses, truculent, piaffant, couvrant d'insultes blessantes les G.I. S'il admire les qualités de tacticien de Patton (alors devenu son subordonné) qui, en 1944, fait brillamment manœuvrer une énorme armée surchargée de matériel pour réduire la poche de Bastogne en Belgique, il lui reproche une attitude plus que cavalière à l'égard de ses hommes ; Patton n'économise guère la vie des combattants placés sous ses ordres, au contraire de Bradley, qui y gagnera l e surnom de « général des G.I. ».
Après le débarquement en Sicile, celui-ci est chargé par Eisenhower et Marshall de diriger sur le terrain les forces américaines lors du débarquement allié de Normandie. Il a su faire la preuve de ses capacités d'organisation et de ses qualités de diplomate, indispensables dans une opération mettant en jeu des forces nationales diverses. Et pourtant, le général ne brille pas par la bienveillance ; il n'est pas tendre pour Montgomery, par exemple, qu'il décrit comme un bon exécutant dans les combats soigneusement préparés, mais comme un médiocre improvisateur lorsque la situation évolue rapidement. Il est d'autant plus surpris d'être chargé du débarquement en Normandie que son expérience au combat est récente et limitée, comme il l'écrit lui-même, rapportant les propos qu'il tenait alors à son chef d'état-major, le colonel William Kean : « C'est une sacrée responsabilité pour nous deux de nous occuper du plus gros débarquement de la guerre ». Il acquiesça et regarda la carte d'Europe au mur. « Mais pourtant, Bill, lui dis-je franchement, qui en sait plus que nous là-dessus dans l'armée ? » Sept mois auparavant, cette réflexion aurait témoigné d'un certain culot, car Kean et moi nous nous trouvions en Floride en train de donner l'assaut, avec la 28e division, à un terrain vague à demi-inondé que nous appelions l'île du Chien. » Ce passage donne le ton du livre, lucide, impertinent et fort amusant. Mais l'ouvrage révèle une faiblesse que l'on retrouve chez de nombreux responsables américains, militaires comme civils : une ignorance, voire un refus, des facteurs d'explication historiques et des données politiques ; la technique suffit. Ainsi manifeste-t-il à propos des Anglais, qu'il n'estime que très médiocrement, son étonnement devant leur « inclination à compliquer la guerre de vues politiques à longue échéance et d'objectifs non militaires ». Dès lors, il n'est pas surprenant qu'en octobre 1967, à la retraite il est vrai, le même homme estime que la guerre du [...]
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Écrit par
- Marie-France TOINET : directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales de la Fondation nationale des sciences politiques
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