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ON NE BADINE PAS AVEC L'AMOUR (A. de Musset) Fiche de lecture

L’impossible sincérité

On ne badine pas avec l'amour et Les Caprices de Marianneforment une sorte de diptyque. Au trio formé par Cœlio, Octave et Marianne (deux hommes, une femme) répondent ici Perdican, Camille et Rosette (un homme, deux femmes). Sur un sujet proche – des jeux galants à l'issue tragique – les deux pièces, conformément à l'esthétique du théâtre romantique, mêlent les genres – comédie et drame. Cette dualité de registres, qui affecte les relations et les propos des trois protagonistes, se trouve ici redoublée par la présence, en contrepoint, d'un trio strictement comique (maître Blazius, Bridaine, le curé du village, et dame Pluche), d'où l'alternance de scènes de pure comédie et d'autres beaucoup plus sérieuses, lyriques, voire tragiques.

Perdican et Camille présentent tous deux, chacun à leur manière, les caractéristiques des héros romantiques : à leur soif d'absolu (amoureux pour Perdican, religieux pour Camille) vient se joindre une dose d'ironie et de duplicité. Perdican, en particulier, peut ainsi assumer à la fois un idéalisme de l'amour et un cynisme du libertinage ; le portrait qu'il fait de lui-même (notamment dans la scène 5 de l'acte II où l’on voit débattre les deux jeunes gens) annonce la double personnalité de Lorenzaccio, à la fois pur et débauché. À l'instar des héros stendhaliens, c'est moins, au fond, la quête amoureuse proprement dite qui le meut qu'une énergie, une force vitale que tous les autres personnages tendent à brider, y compris Camille, victime de son éducation religieuse mortifère. Une philosophie vitaliste que résume parfaitement la phrase qui clôt la scène 5 de l'acte II : « J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Cette cohabitation de l'aspiration à un idéal et d'une lucidité désenchantée se retrouve dans ce « badinage » qui n'est pas sans rappeler le « marivaudage » du Jeu de l'amour et du hasard (1730) ou des Fausses confidences(1737).La pureté et l'authenticité des mouvements du cœur se trouvent minées par les inégalités sociales et les conventions qui en découlent. Camille et Perdican sont, par leur milieu, destinés l'un à l'autre, d'où l'adhésion immédiate de ce dernier au souhait de son père de le voir épouser sa cousine et l'attirance spontanée que le jeune homme semble éprouver à son égard. Comme chez Marivaux, les aristocrates se reconnaissent et s'élisent entre eux, et nul ne peut croire à l'éventualité d'un mariage entre Perdican et Rosette. Cette dernière en est d'ailleurs consciente, même si l'habileté de son séducteur finira par lui faire perdre sa clairvoyance. Quant à Camille, elle illustre une thématique chère aux écrivains du xixe siècle : les ravages de l'éducation religieuse des jeunes filles, qui conduit les unes à renoncer au monde, les autres, a contrario, à en épouser les vices.

Toutefois, la contestation systématique de la sincérité, qui se traduit par une parole toujours mensongère ou hypocrite, dépasse la seule question sociale. C'est la réalité même de la « comédie humaine » qu'elle est censée traduire, celle d'un monde des apparences et des faux-semblants où chacun joue un rôle, ment aux autres et se ment à lui-même, par intérêt, par peur, par orgueil... De ce mal universel, tous les personnages de la pièce sont, à des titres divers, affectés : le baron, tout imbu d'une importance imaginaire ; Blazius et Bridaine, ivrognes et menteurs invétérés ; dame Pluche, qui dissimule mal son caractère revêche et colérique ; Rosette, sensible malgré tout à l'intérêt que lui porte un noble au point de croire à une union pourtant impossible ; Camille[...]

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<em>On ne badine pas avec l'amour</em> d'A. de Musset, mise en scène de René Clair - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

On ne badine pas avec l'amour d'A. de Musset, mise en scène de René Clair