ONDINE (C. Petzold)
Ondine (Undine, 2020) poursuit le renouvellement de l’œuvre cinématographique de Christian Petzold. Après les films marqués par Nina Hoss, sa première actrice de prédilection, le cinéaste allemand le plus talentueux de sa génération réalise, après Transit (2018), son deuxième long-métrage avec sa nouvelle égérie, Paula Beer. Sur le fond, le mythe que réactualise Ondine apparaît comme l’étape logique d’une filmographie où les spectres dans le bien nommé Fantômes (Gespenster, 2005), les héroïnes féminines visitant l’Hadès et en revenant dans Yella (2007) et Phoenix (2014), ou encore tentant de s’arracher à une noirceur sociale et politique dans Jerichow (2008), Barbara (2012) et Transit, devaient conduire Petzold à réaliser un vrai conte cinématographique.
Le pays des eaux
Sans l’eau, Ondine, le conte de Friedrich de La Motte-Fouqué (1777-1843) n’aurait jamais existé, cela paraît une évidence. Pourtant, la présence aquatique autour de Berlin telle qu’elle est évoquée par Petzold demeure singulière. Le réalisateur n’opte pas pour les étendues naturelles du lac Wannsee ou du fleuve, la Sprée : c’est un lac de barrage, avec son eau stagnante, qui permet les apparitions subaquatiques d’Ondine (Paula Beer) dont La Motte-Fouqué écrit qu’elle appartient à « l’ancien monde que Dieu voulut […] dérober aux regards indignes des hommes d’aujourd’hui ». Avec Christoph (Franz Rogowski), elle visitera des ruines englouties au cours d’une échappée sous-marine entre amoureux. Les vestiges d’une cité répondent ainsi aux maquettes montrant les transformations urbaines de Berlin, ville construite sur des marais, devant lesquelles Ondine donne des conférences à des visiteurs internationaux dans le musée de la Marche de Brandebourg. Ces plans urbains en relief sont, d’un seul coup, habités par l’éloquence concentrée de la jeune femme, invitant ses auditeurs à identifier tel monument au milieu des édifices reconstitués en miniature. La caméra épouse ici le regard intemporel d’Ondine dont l’émotion contenue à l’évocation d’un monde disparu fait poindre un romantisme de la capitale allemande. Sous l’eau, Christoph assure les soudures des turbines du barrage, construction sous-marine qui semble soutenir tout ce qui se dresse en surface, et en particulier les villes. Son environnement est au cœur du monde caché à propos duquel discourt Ondine. Cette correspondance entre les deux jeunes gens va sceller leur union, notamment lors d’une très belle scène érotique où Christoph demande à entendre répéter la prochaine conférence d’Ondine sur le Forum Humboldt, plutôt que de se laisser aller à une étreinte.
À cette passion romantique, Petzold confère une dimension fantastique avec un premier monstre, finalement réaliste, un impressionnant silure qui vient à la rencontre du scaphandrier, Christoph. C’est grâce à la technique de l’image de synthèse que l’on voit le gros poisson sortir de l’obscurité – un trucage qui constitue une première dans la filmographie du réalisateur de Contrôle d’identité (2000). Et la scène où Ondine est emportée par le prédateur comme une sirène à travers les limbes montre bien que le cinéaste a désormais dépassé le réalisme objectif qui lui était cher, ce qui lui permet d’intégrer le conte au sein d’une contemporanéité urbaine. Son audace est manifeste lorsque le coup de foudre de Christoph pour Ondine s’exprime à travers l’explosion de l’aquarium dans le restaurant où ils se trouvent. Ce jeu métonymique qui voit le couple comme « noyé » en extérieur nous installe dans le monde imaginaire des deux amants.
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Écrit par
- Pierre EISENREICH
: critique de cinéma, membre du comité de rédaction de la revue
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Média