ONTOLOGIE
Science et ontologie
En quête du réel
On a pris jusqu'ici le mot « ontologie » comme synonyme de métaphysique. C'est encore par cette identification que l'ontologie tombe sous la critique kantienne. Mais la philosophie kantienne est en même temps la démonstration vivante que la question de l'être renaît des cendres mêmes de la métaphysique : la « chose en soi » reste le fondement du « phénomène » et toute la philosophie pratique est une tentative pour déterminer la notion d'être à partir de la liberté. L'ontologie n'est donc pas seulement la métaphysique.
On voudrait montrer, dans cette deuxième partie, comment la science elle-même engendre sans cesse à nouveau l'interrogation ontologique. En effet, ce n'est pas de façon métaphysique, mais bien physique, que la science rencontre la question de l'être. Entendons : la question de l'être, pour la science, c'est la question de savoir ce qui, pour elle, est tenu pour réel, au sens de non conventionnel, non produit par l'activité théorique et pratique du savant. C'est donc de l'épistémologie elle-même – ou théorie du savoir scientifique – qu'il faut désimpliquer une problématique de caractère ontologique. La question ontologique, pour l'épistémologie, c'est d'abord celle de la réalité des entités théoriques dont parle la science ; cette question a pris une forme critique aiguë avec la mécanique quantique ; c'est en effet la physique moderne qui a relancé la question de savoir ce que le savant entend par réalité ; autrement dit, la question ontologique, pour la science, c'est d'abord la question du référent du discours scientifique : demander ce qui est, c'est demander ce qui est réel ; et demander ce qui est réel, c'est demander de quoi on parle dans la science.
Ainsi se trouve rénovée la première question du Traité aristotélicien des catégories : celle de la substance ; en langage moderne, cette antique question s'énoncerait ainsi : telle entité, dont la science fait la théorie, appartient-elle à la « population » d'entités dont l'ensemble constitue le monde ? La science rencontre le problème ontologique sous une autre forme : c'est la question de savoir si elle pose une seule sorte de réalité – la « matière » ou réalité physique – à laquelle toutes les autres réalités – vie, conscience ou esprit – seraient réductibles, ou si, au contraire, la science doit postuler une pluralité de niveaux de réalités, irréductibles les unes aux autres.
Ainsi deux problèmes se trouvent enchaînés qui concernent deux significations différentes du mot « réalité » : le référent du discours scientifique, les niveaux ou les degrés de réalité.
Le « paradoxe du théorique »
Les entités théoriques de la science moderne posent un difficile problème, quant à leur statut de réalité, parce que ce sont des entités « construites » : entendons des entités qui n'ont de sens que dans le cadre d'une théorie, laquelle est bien autre chose qu'une généralisation des lois empiriques. Pour le positivisme logique, seuls les « observables » sont en dernier ressort le critère du réel ; ce phénoménalisme de base doit seulement être complété par un opérationnalisme afin de rendre compte du staut des entités non observables ; par opérationnalisme, on entend la doctrine selon laquelle les entités construites se réduisent à des expressions auxiliaires, c'est-à-dire soit à des entités fondées sur des observables, soit à des procédés pour calculer les observables ; la question du statut des entités théoriques est donc un pseudo-problème : la seule question légitime est de savoir si l'adoption d'une certaine forme de langage est avantageuse pour la théorie physique ; des « règles de correspondance » doivent toujours permettre[...]
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Écrit par
- Paul RICŒUR : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago
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Média
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