Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ONTOLOGIE

Phénoménologie et ontologie

Un nouvel accès à l'ontologie est ouvert par la phénoménologie, science descriptive des traits essentiels de l'expérience prise dans son intégralité. On peut y venir en partant de la discussion précédente : la possibilité que le langage se réfère à la réalité suppose que nous soyons déjà tournés vers la réalité et reliés à elle par divers liens que le discours vient seulement porter au langage. Demander ce qui est ainsi porté au langage, c'est en appeler de la linguistique à la phénoménologie.

Ce passage ne va pas sans difficulté : c'est encore dans le langage que l'on entend parler de ce qui précède le langage ; disposons-nous d'un tel langage ? oui, disent les phénoménologues ; ce langage n'est plus un langage-objet, c'est-à-dire un langage portant sur les choses, il est un langage portant sur notre relation aux choses ; ce n'est même plus un métalangage, comme celui dont parlent les linguistes, c'est-à-dire un langage sur le langage considéré comme ensemble des codes sur lesquels s'édifient nos messages : c'est un langage qui dit l'antérieur du langage. Ce langage a toujours existé : c'est celui qui se forge dans l'ontologie des présocratiques et dans l'œuvre poétique des penseurs fondamentaux ; en aucun moment, l'homme n'a été démuni d'un langage qui dit notre inscription dans l'être et l'effacement du langage lui-même devant ce qui est.

Dira-t-on que ce passage du langage-objet au langage qui dit l'antérieur du langage constitue un saut injustifiable de la référence, qui est encore un fait de langage, à la chose, qui est une réalité extralinguistique, ou, si l'on veut, de l'être-dit à l'être ? On répondra que ce passage doit en effet apparaître comme un saut pour qui s'est enfermé dans la clôture des signes ; mais, si l'on comprend que nous sommes toujours orientés dans le langage vers ce qui est avant le langage, c'est la fermeture du langage sur un signifié intralinguistique qui doit être entendue comme la perte de la dimension ontologique, comme l'oubli de l'être ; il est possible que l'hypostase du langage comme monde clos des signes et l'engouement philosophique pour la linguistique – non la linguistique des linguistes – appartiennent aux symptômes de l'oubli de l'être. Mais l'oubli de l'être n'est jamais si entier que l'on ne puisse encore reconnaître la trace de l'affirmation ontologique dans l'impulsion même qui porte le langage du signe vers le sens et du sens vers la référence ; impulsion que l'on ne peut thématiser, de l'intérieur d'une philosophie du langage, que comme un postulat ou comme une exigence de la forme : il faut que quelque chose soit pour que l'on puisse parler à son sujet ; postulat ou exigence dont on a vu l'énoncé chez Russell et chez Searle, mais qu'on pourrait tout aussi bien faire remonter à la fameuse introduction de Kant à la deuxième édition de la Critique de la raison pure : « Si rien n'existait, il n'y aurait rien non plus qui apparaisse. » Remplacez « apparaître » par « être dit » et vous aurez la formule du postulat par lequel la phénoménologie se décentre par rapport à une philosophie du langage.

Si nous sommes toujours orientés par le langage vers ce qui est avant le langage, comment le savons-nous ?

La phénoménologie a, dès le début, été une investigation des structures du vécu qui précèdent l'articulation dans le langage, mais elle n'a pas toujours été une ontologie. C'est pourquoi il faut considérer une première étape où la subordination du langage aux structures du vécu est encore interprétée dans le cadre d'une philosophie idéaliste de la conscience, et une seconde étape où le primat du vécu sur la[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

Classification

Média

Martin Heidegger - crédits : G. Schütz/ AKG-images

Martin Heidegger

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE ET ONTOLOGIE

    • Écrit par
    • 1 255 mots

    Si l’anthropologie s’est définie contre la métaphysique classique en remplaçant un discours sur Dieu comme fondement de toutes choses par un discours sur l’homme comme sujet et objet de connaissance (Foucault, 1966), elle a renoué depuis les années 1980 avec l’ontologie, définie comme un...

  • ABSOLU

    • Écrit par
    • 4 222 mots
    En second lieu, être infidèle à l'ontologie et enclore l'absolu dans l'élément abstrait du concept, revient peut-être, à nouveau, à réduire et à mutiler son sens. Ainsi du moins le prétend toute formulation de l'argument ontologique de l'existence de Dieu.
  • ANALOGIE

    • Écrit par , et
    • 10 427 mots
    La formulation médiévale du concept d'analogie de l'être est un phénomène tardif qui a été préparé par une longue suite de médiations et de transferts. Son point de départ est la théorie porphyrienne de l'homonymie transmise par Boèce et les Decem Categoriae du pseudo-Augustin...
  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...depuis longtemps remarqué que la Métaphysique proposait deux sortes de définition de la « science recherchée ». L'une la présente comme la science de l'être en tant qu'être, c'est-à-dire de l'être envisagé par où (έe, qua) il est être et seulement être, et non «...
  • ARISTOTÉLISME MÉDIÉVAL

    • Écrit par
    • 4 951 mots
    • 1 média
    ...passages de l'Organon. En métaphysique, l'aristotélisme médiéval n'est que la longue mise en argument de la distinction et des rapports entre ontologie, la science de l'être en tant qu'être, et théologie, la science de la substance immobile, laquelle ne fait qu'expliciter l'ambiguïté...
  • Afficher les 61 références