OPÉRA Le renouveau de l'opéra baroque
Monteverdi : le texte
Le premier obstacle qui se dresse entre l'interprète et l'œuvre est le texte. Que dit-il, que cache-t-il ? Quelle familiarité nos yeux peuvent-ils entretenir avec ceux qui l'ont lu jadis ? Entre un passé auquel ne nous rattache aucune tradition et un présent inapte à faire sentir ces beautés lointaines, où le musicien – pour ne rien dire du dramaturge – doit-il s'engager ?
Telles sont les questions que posent les textes les plus obscurs de l'opéra, parce que les plus anciens et les plus étrangers à nos mœurs : ceux de Claudio Monteverdi.
L'Orfeo (1607), ouvrage fondateur – et prisé en son temps (nous suivons sa trace au moins jusqu'à Gênes en 1646) –, ne se réveilla que le 25 février 1904 à la Schola cantorum de Paris. Un an plus tard, le 24 février 1905, au même endroit, suivit L'incoronazione di Poppea (1642 ou 1643). Mais il fallut attendre 1925 pour que la direction de la Schola ose Il Ritorno d'Ulisse in patria (1640). En théorie, L'Orfeo, quoique le plus ancien des trois, devrait poser le moins de problèmes. Le livret en fut imprimé à Mantoue dès 1607, la partition à Venise deux ans plus tard ; et les détails d'instrumentation abondent sur des pages parfaitement lisibles. En 1904, la pièce semble toutefois injouable. Il est vrai que le cornet à bouquin, le régale, le chitarrone et la viole ne s'enseignent et donc ne se pratiquent guère. Pourtant, il s'agit d'autre chose. Dans l'avant-propos de son édition (Orfeo de Claudio Monteverdi, collection de l'Églantier, Paris, 1905), Vincent d'Indy affirme n'avoir « pas eu l'intention de faire œuvre d'archéologue, mais œuvre d'artiste ». Tout est là : l'œuvre se ne se confond pas avec le texte, elle se cache dedans, parfois derrière. « Moins soucieux de présenter une reconstitution complète de la partition originale que d'en favoriser l'exécution pratique dans les concerts, nous n'avons cherché qu'à rendre manifeste aux yeux de tous ceux qui s'intéressent à la musique cet admirable monument de l'art dramatique primitif. » Pour ce faire, d'Indy a supprimé le premier acte (« qui ne consiste qu'en chansons et danses pastorales ») et le dernier, ramenant ainsi la tragédie à un plan connu et admis : celui de Gluck. Sur un texte français de Xavier de Courville, l'arrangeur orchestre, ajoute des contre-chants, des nuances, des variations de tempo « romantiques », qui lui permettent, sans « trahir », de « rendre manifeste aux yeux de tous » le génie d'un maître qu'il admire sincèrement. Il le fait avec une telle conviction que L'Orfeo version Schola recevra plus d'un demi-siècle durant les faveurs du public et des musiciens.
On est alors loin d'avoir percé le mystère de cet « art dramatique primitif ». Le public de New York s'endort en 1912. Celui de Breslau reçoit la pièce comme une « expérience » en 1913. Mais peu de capitales ignorent le ressuscité – dans la version de la Schola ou dans l'arrangement vériste qu'effectue Giacomo Orefice pour le retour de l'œuvre dans sa patrie en 1909, ou dans quelque autre adaptation aux mœurs locales. Le premier essai probant d'un Orfeo « fidèle » aura lieu un demi-siècle plus tard, lors du festival de Vienne 1954, à nouveau sous la direction d'un compositeur, Paul Hindemith. Cette fois, la partition est exécutée intégralement et l'instrumentation respectée autant que possible. On a même façonné des cornets à bouquin pour cette unique occasion. Hindemith avait entendu parler d'un jeune « Symphoniker » nouvellement converti aux techniques historiques, un violoncelliste nommé Nikolaus Harnoncourt. Avec le noyau de ce qui était en train de devenir le Concentus Musicus Wien, Hindemith[...]
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- Ivan A. ALEXANDRE : auteur
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