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OPÉRA Le renouveau de l'opéra baroque

Haendel : la voix

Haendel - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Haendel

En 1920, le pèlerin qui, comme Romain Rolland, entreprend un « voyage musical au pays du passé », a pu entendre L'Orfeo de Monteverdi, Zoroastre de Rameau, Dido and Aeneas de Purcell ou Armide de Lully. Mais il n'a jamais vu ni entendu aucun opéra italien de Haendel. Non que celui-ci fût oublié. Au contraire : c'est parce que, à la différence de Bach ou de Vivaldi, Haendel n'entra jamais au purgatoire, qu'une large part de sa musique y demeura. Lorsque quatre mille âmes exécutaient chaque année Le Messie au Crystal Palace, lorsque Judas Maccabaeus et Joshua, immenses fresques bibliques et militaires, inspiraient le rituel choral du siècle romantique tout entier, qui eût osé se plaindre d'une quelconque absence ? On avait simplement oublié qu'avant de concevoir l'oratorio, Haendel avait commis une quarantaine d'opéras. Ou plutôt, on ne l'avait pas oublié : on lui pardonnait ces années d'errance, on l'absolvait puisque, justement, il avait su oublier, fuir l'opéra, s'élever.

Le 6 avril 1754 avait eu lieu, au King's Theatre de Londres, la dernière représentation d'un opéra de Handel, Admeto, quatorze ans après que le musicien eut abandonné la langue italienne. Nous relevons bien ensuite la trace d'un Giulio Cesare à l'affiche du Concert of Antient Music en 1787, mais il s'agit d'un pasticcio et non de l'opéra composé en 1723. Un siècle plus tard, le 14 janvier 1878, le compositeur autrichien Johann Nepomuk Fuchs, en poste à Hambourg, y dirige quelques scènes de l'opéra allemand Almira (1705) dans le cadre d'une « semaine historique d'opéra » – florilège qui servit ensuite à la célébration du bicentenaire de la naissance du compositeur, le 23 février 1885, à Leipzig. Rien d'autre. Nous n'avons connaissance d'aucune représentation d'un opéra de Haendel où que ce soit avant le 26 juin 1920.

En ce début d'été qu'assombrit encore la défaite de 1918, le docteur Oskar Hagen, professeur d'histoire de l'art à l'université de Göttingen, en Basse-Saxe, ose ce que nul ne pouvait seulement concevoir : présenter au public un opéra italien de Haendel en trois actes et sur scène. Pour la première fois depuis 1743, Haendel, compositeur allemand, foule les planches d'un théâtre allemand. Mieux : cette Rodelinda imprévue triomphe. Treize soirées n'étanchent pas la soif naissante d'un public qui s'étend à la vitesse du son ; quatre années plus tard, Rodelinda aura conquis vingt-quatre villes. Dès l'été suivant, le docteur Hagen exhume Ottone. Le 5 juillet 1922 renaît Giulio Cesare, porté disparu depuis 1737. Cette version princeps de ce qui allait devenir le plus populaire des opéras seria au xxe siècle visitera de 1922 à 1927 trente-six villes d'Europe du Nord où elle sera vue au total deux cent vingt-deux fois. Ainsi naquit le festival de Göttingen, origine d'un Handel revival florissant trois quarts de siècle plus tard.

Mais que voyait-on, qu'entendait-on à Göttingen ? Certainement pas les savantes éditions publiées par le musicologue et ami de Brahms Friedrich Chrysander au siècle précédent. « Toute personne douée de raison, écrit Oskar Hagen dans l'avant-propos de sa propre édition de Giulio Cesare en 1922, sait que les opéras de Haendel dans leur forme originale sont incompatibles avec les exigences de la scène moderne. » Afin de les rendre « compatibles », le docteur Hagen n'hésite pas. De la même façon que Rameau en 1900 est « essentiellement français », Haendel en 1920 est d'abord allemand : il convient de traduire ses ouvrages dans sa langue natale, celle du public. Au cours de l'opération, les livrets sont revus, condensés, aménagés dans le sens d'une plus grande « rigueur historique ». Certains personnages disparaissent,[...]

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