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OPÉRA Le renouveau de l'opéra baroque

Théâtre et tabou

En théorie, la représentation d'une pièce composée entre Orfeo (de Monteverdi, 1607) et Orfeo (de Gluck, 1762) peut obéir à trois lois esthétiques différentes : celle de l'action (décors et costumes grecs pour Calisto, romains pour Poppea, aztèques pour Montezuma de Carl Heinrich Graun...), celle du compositeur (Médicis pour Orfeo, Grand Siècle pour Atys, hogarthienne pour le ballad opera de Johann Christoph Pepusch The Beggar's Opera...) et celle d'aujourd'hui (Didon abandonnée par un chef d'entreprise cupide, Giulio Cesare entre Maison-Blanche et Moyen-Orient). En réalité, plus rien ne distingue cette branche patrimoniale des autres. Comme à Don Giovanni et Tosca, tout peut arriver à Griselda et à Orlando. De Haendel, on a vu Alexander Balus mis en lumières et en blocs à la façon d'Appia (Münster, 1926), Rodelinda en carton décoré comme Les Huguenots (Halle, 1938) ou transporté dans un film noir avec flingues et sourcils (Glyndebourne, 1998), Hercules changé en péplum cossu (Scala de Milan, 1958), Rinaldo enrôlé comme GI à Bagdad sous George W. Bush (Montpellier, 2002)...

Durant la première moitié du xxe siècle, la représentation des opéras anciens reposait pour l'essentiel sur une mémoire stylisée mêlant architecture antique, observation affectueuse ou critique de l'Ancien Régime et dramaturgie moderne. Plusieurs tentatives de retour aux sources ont pu avoir lieu ici ou là, sans lien ni conséquence. En 1935, le public du petit théâtre de Celle accueillit avec égard un Tamerlano de Haendel dont les interprètes se livraient à une « gestuelle » baroque, tandis qu'au théâtre de Ludwigsburg Rodelinda se couvrait de décors historiques éclairés à la bougie. Mais la recherche de l'« authenticité » ne trouve guère accès au public régulier avant la fondation à Oxford, en 1962, de l'English Bach Festival, groupe spécialisé, en dépit de son nom, dans la reconstitution d'opéras anciens, et responsable du premier « festival Rameau » en scène, qui permit à Londres et à Versailles de découvrir Hippolyte et Aricie, Castor et Pollux, La Princesse de Navarre, Naïs, Les Fêtes de Polymnie, Pigmalion et Platée.

Le mot est lâché : reconstitution. Anodin lorsqu'il désignait les expériences insolites et impécunieuses de Lina Lalandi, âme de l'English Bach Festival, ce mot devint peu à peu un gros mot. En 1978, alors que John Eliot Gardiner fondait les English Baroque Soloists, Roger Norrington les London Classical Players, Philippe Herreweghe la Chapelle royale et William Christie Les Arts florissants, le scénographe Pier Luigi Pizzi essaya son premier opéra baroque. Il mit de l'or aux ailes de Pégase, de lourdes boucles au chef d'Alcina, des plumes au casque de Ruggiero ; il renonça au théâtre psychologique, réinventa le tableau vivant : le public se crut transporté dans la Venise de Casanova, et l'Orlando furioso de Vivaldi, perdu depuis deux siècles et demi, prit à son réveil le titre de « reconstitution ». Le metteur en scène présenta ensuite Rinaldo et Ariodante de Haendel, Les Indes galantes et Hippolyte et Aricie de Rameau : « reconstitutions ». Puis l'uomo barroco durant une décennie disparut. Vint Atys en 1987. Peu de plumes, guère de couleurs, mais des costumes historiques, de longues perruques, tout un code gestuel que nous transmettrait à trois siècles de distance celui de Louis XIV. « Reconstitution » à nouveau fut le terme fatal.

Or qu'appelons-nous « reconstitution » ? Pier Luigi Pizzi s'accorde « la volonté de saisir l'opéra ancien, de le faire nôtre en le faisant actuel » et juge son Orlando « acceptable comme expérience de récupération et de réinvention ». Jamais les Vénitiens de 1727 n'ont vu quoi que ce soit de semblable ; jamais le scénographe n'a prétendu reconstituer.[...]

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Nikolaus Harnoncourt - crédits : Barbara Gindl/ EPA

Nikolaus Harnoncourt

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Jean-Claude Malgoire

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