OPÉRATION T4

Prémices de la Shoah

Ce meurtre programmé des handicapés fut un prologue au génocide des juifs : les centres où ils furent mise à mort inaugurèrent les techniques des camps d’extermination – chambres à gaz et fours crématoires pour se débarrasser des cadavres –, et leur transfert organisé préfigurait la déportation en masse des juifs. Ayant perdu toutes leurs inhibitions morales et professionnelles, certains des médecins, désormais spécialistes en technologies du meurtre de sang-froid, passèrent ensuite au service des camps d’extermination, où ces mêmes technologies atteignirent un nouveau stade, rendant possible la mort de plusieurs milliers de personnes simultanément, et la crémation de leur corps en quelques heures.

Des psychiatres parvinrent à sauver certains patients au cours de l’Opération T4, au moins temporairement, mais seulement à condition de coopérer pour en envoyer d’autres à la mort. Quelques médecins protestèrent pourtant. Certains refusèrent de remplir le formulaire requis. L’Église catholique, qui s’était tu face aux persécutions contre les juifs, protesta contre ces « mises à mort miséricordieuses ». Clemens August von Galen, évêque de Münster, défia ouvertement le régime en soutenant qu’il était du devoir des chrétiens de s’opposer à la suppression de la vie humaine, y compris au péril de leur propre vie.

Le 24 août 1941, presque deux ans après sa mise en œuvre, l’Opération T4 parut avoir pris fin. En fait, elle était devenue secrète. Le programme revendiqua plus de 70 000 morts pendant ses deux années de fonctionnement au grand jour, mais les centres de mise à mort firent encore plus de victimes entre la fin officielle du programme et la chute du régime nazi en 1945. Le nombre total des tués, si l’on inclut cette phase secrète, pourrait atteindre 200 000 ou plus. Sa fin officielle en 1941 coïncide avec le déclenchement du plan de destruction des juifs d’Europe, point culminant des programmes nazis d’élimination des populations classées comme inutiles ou nuisibles à la « race des seigneurs ».