OPIOÏDES
La démarche intellectuelle et la méthodologie qui ont abouti à la découverte des récepteurs morphiniques d'une part, et, par voie de conséquence, à celle des peptides opiacés ou opioïdes, d'autre part, représentent un modèle exemplaire des recherches effectuées en neuropharmacologie moléculaire.
Entre 1971 et 1973, plusieurs équipes de chercheurs découvraient la présence dans le cerveau de récepteurs spécifiques pour la morphine et ses dérivés sur des membranes de cellules nerveuses cérébrales.
En décembre 1975, J. Hughes et H. W. Kosterlitz isolaient du cerveau de porc deux pentapeptides, la méthionine-enképhaline et la leucine-enképhaline, capables de se lier aux récepteurs morphiniques. Quelques mois plus tard, les équipes de C. H. Li, d'une part, et de R. Guillemin, d'autre part, isolaient de l'hypophyse de porc des peptides plus longs, les endorphines, capables eux aussi de se lier à ces récepteurs. Ces découvertes ont eu immédiatement un retentissement considérable.
La morphine et ses dérivés représentent, en effet, les plus puissants analgésiques connus, mais leur utilisation chronique entraîne deux inconvénients majeurs : l'accoutumance, qui oblige à employer des doses croissantes de l'analgésique pour obtenir le même effet, et la dépendance, qui conduit à des troubles graves lors de l'arrêt brutal du traitement. Ces effets se retrouvent évidemment dans la toxicomanie aux morphiniques. La découverte des enképhalines et endorphines semblait donc représenter une voie possible dans la mise au point d'analgésiques dépourvus de ces inconvénients.
Les recherches ultérieures, se fondant sur la pluralité des récepteurs morphiniques, ont été orientées vers la découverte des molécules à activité pharmacodynamique sélective et n'entraînant pas de dépendance chez le malade.
Découverte des récepteurs morphiniques
Les récepteurs morphiniques ont été découverts entre 1971 et 1973, par plusieurs équipes (E. Simon, S. Snyder aux États-Unis ; L. Terenius en Suède).
Cette découverte était la conséquence logique d'une longue série de constatations. La morphine et tous les dérivés synthétiques qui possèdent comme elle une puissante action analgésique présentent des analogies structurales précises (même distance entre un cycle aromatique souvent hydroxylé et un azote chargé, fig. 1). La présence dans le cerveau d'un récepteur spécifique pour ces substances était suggérée par le fait que ces analgésiques agissent à très faible dose et doivent donc toucher une cible précise. De plus, si la molécule analgésique existe sous deux formes inverses optiques (comparables à une main droite et une main gauche), une seule des deux est pharmacologiquement active. Cela suggère donc l'existence d'une stéréospécificité de l'interaction entre la molécule analgésique et le récepteur (comparable à l'adaptation de la main gauche au gant gauche et non au gant droit, fig. 2).
La preuve définitive de l'existence de ces récepteurs a alors été obtenue en utilisant un dérivé de la morphine, l'étorphine, rendu radioactif par introduction d'un atome de tritium. Une même quantité d'étorphine tritiée est mise à incuber avec des fragments de cerveau dans deux tubes distincts dont l'un contient une large quantité d'un analgésique synthétique, le lévorphanol, et l'autre la même quantité de son inverse optique complètement inactif, le dextrorphan. Dans le premier cas, il y a compétition, pour le même récepteur, entre l'étorphine et le lévorphanol et, la concentration de ce dernier étant très grande, on ne trouve que peu d'étorphine radioactive liée au récepteur. Dans le second cas, le dextrorphan inactif n'entre pas en compétition avec l'étorphine radioactive et celle-ci se lie complètement au récepteur.[...]
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Écrit par
- Bernard Pierre ROQUES : docteur en pharmacie, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes
Classification
Médias
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