OPIOÏDES
Biogenèse et métabolisme des enképhalines et des endorphines
La β-endorphine n'est pas comme on l'a cru pendant un temps le précurseur de la Met-enképhaline puisque l'ablation de l'hypophyse, lieu de synthèse de la β-endorphine, ne conduit pas à une baisse sensible du taux de Met-enképhaline dans le cerveau. En fait, la β-endorphine est dérivée d'une glycoprotéine d'un poids moléculaire d'environ 300 000.
La séquence complète de cette protéine a pu être réalisée grâce à une splendide expérience de manipulation génétique par les équipes de Nakarishi (Japon) et Chang (États-Unis). Ceux-ci ont isolé et purifié l'ARN messager codant la protéine et l'ont fait transcrire in vitro en ADN par la transcriptase reverse. L'insertion de ce DNA dans un plasmide puis l'injection de ce dernier à une bactérie ont conduit à sa réplication, puis à son isolement et enfin à l'analyse de la séquence des bases. La traduction en ARN messager a permis de remonter à la séquence de la pro-opiocortine. Cette protéine semble être le précurseur de nombreuses hormones telles que l'ACTH (hormone adrénocorticotrope), le CLIP (hormone corticotrope du lobe intermédiaire), les α, β et ν MSH (hormones mélanostimulantes), la β-lipotropine et la β-endorphine.
De même, les deux enképhalines endogènes ont un même précurseur constitué de 267 aminoacides et dénommé pro-enképhaline A. Des expériences de génie génétique similaire aux précédentes ont permis de montrer que chaque molécule de pro-enképhaline A contient 4 copies de Met-E et 1 copie de Leu-E flanquées de chaque côté par des doublets basiques (Arg-Arg ; Lys-Arg...). Le rapport Met-E/Leu-E est en accord avec des mesures de concentration obtenues précédemment par radio-immunologie. En plus des enképhalines normales, la pro-enképhaline engendre deux peptides opioïdes, la Met-E-Arg-Gly-Leu et la Met-E-Arg-Phe. La dynorphine et l'α-néo-endorphine dérivent d'un précurseur commun, la pro-enképhaline B ou la pro-dynorphine (fig. 5). Toutes ces substances opioïdes pourraient être libérées à partir de leur précurseur par des dégradations enzymatiques successives au niveau de séquences comportant deux aminoacides basiques (Lys-Lys, Arg-Arg ou Lys-Arg).
Ces découvertes très intéressantes laisseraient à penser qu'il existe un contrôle enzymatique dans la libération de ces différentes substances et qu'un dysfonctionnement de ce système de contrôle pourrait conduire à des troubles du système nerveux central. Il faut donc s'attacher à isoler les enzymes et à synthétiser leurs inhibiteurs. Par ailleurs, la concentration importante dans le tissu cérébral de ces différents peptides suggère clairement qu'ils possèdent tous un rôle physiologique et des sites de liaison distincts.
L'injection directe de Met-enképhaline dans le cerveau ne donne qu'une analgésie très fugace à cause de la dégradation très rapide du peptide. Cette inactivation a été d'abord attribuée à l'action d'une aminopeptidase scindant la liaison entre les deux premiers aminoacides Tyr et Gly. Toutefois, les équipes de J. C. Schwartz et B. P. Roques ont mis en évidence une enzyme, l'enképhalinase, qui semble beaucoup plus spécifique des enképhalines, et qui dégrade ces composés par libération du tripeptide Tyr-Gly-Gly. Il s'agit d'une carboxydipeptidase, enzyme analogue à l'angiotensine convertase (enzyme qui libère l'angiotensine II, hormone à action hypertensive à partir de l'angiotensine I).
Des inhibiteurs très puissants et sélectifs de l'enképhalinase ont été synthétisés (B. P. Roques et al.), dont l'un dénommé Thiorphan possède par lui-même une action analgésique après administration intraveineuse chez l'animal. Cet effet analgésique est reversé par la naloxone, antagoniste[...]
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Écrit par
- Bernard Pierre ROQUES : docteur en pharmacie, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes
Classification
Médias
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