OPTIQUE ADAPTATIVE
L'ATMOSPHÈRE : UN ÉCRAN DE PHASE ALÉATOIRE
Pourquoi l'atmosphère déforme-t-elle l'onde ? La grandeur physique en jeu est ici l'indice de réfraction de l'air, qui a la propriété de varier avec la température : si celle-ci évolue le long du trajet optique, alors, de couche en couche, ou plutôt de cellule en cellule, chaque rayon lumineux va dévier sa course, plus ou moins indépendamment de son voisin, et le front d'onde (la surface normale aux rayons lumineux) sera déformé. Dans l'atmosphère, de telles cellules se forment effectivement sous l'action de la turbulence naturelle, c'est-à-dire des mouvement aléatoires des masses d'air dus aux vents et à la convection : les lois de l'hydrodynamique sont telles qu'aux mouvements sont associées des variations de pression locales, donc des variations de la température. Toutes ces variations sont très petites (un millionième en relatif) mais, sur un trajet de 8 kilomètres, correspondant à l'échelle de hauteur de l'atmosphère, la variation de chemin optique devient comparable à la longueur d'onde et affecte alors la formation des images. Ce phénomène est en fait familier : c'est celui de la vision troublée du paysage au-dessus d'un feu ou d'une route surchauffée, avec dans ce cas, des variations de température qui deviennent extrêmes. Dans le cas plus ordinaire, cet effet n'est en général pas perçu car les diamètres des optiques qui sont couramment utilisées (jumelles, petites lunettes, téléobjectifs) sont trop petits pour que la dégradation par l'atmosphère l'emporte sur la diffraction : on considère que c'est pour un diamètre de 10 centimètres environ que la transition se fait, cette dimension passant à 20 centimètres dans une très bonne atmosphère stable.
Cette turbulence n'affecte pas de la même façon les différentes échelles de temps et d'espace : comme sur une mer formée, on trouvera une grande et lente houle avec des creux de 1 mètre à laquelle se superpose une hiérarchie de structures de plus en plus petites et en évolution de plus en plus rapide : depuis des lames vives de quelques dizaines de centimètres jusqu'aux rides frémissantes. Les propriétés de la turbulence atmosphérique sont telles que, comme pour la mer, les plus grandes amplitudes de déformation du front d'onde s'observent aux échelles les plus grandes, la décroissance régulière de l'effet vers les petites échelles se faisant suivant la loi de Kolmogorov, c'est-à-dire en l11/3 , où l est une distance mesurée dans le plan du front d'onde. On voit donc apparaître une des premières caractéristiques du but de l'optique adaptative : s'attaquer en priorité aux déformations aux échelles les plus grandes, c'est-à-dire proches du diamètre de l'optique, car ce sont elles qui sont porteuses de la plus grande capacité de perturbation de l'image.
À quelles vitesses ces variations se produisent-elles ou, en termes plus techniques, quelle doit être la bande passante d'un système correcteur ? Là encore, comme pour la surface d'un océan, plus petite est la taille transverse de la perturbation, plus rapide sera son évolution. Dans un certain sens, c'est une chance, car cela signifie que les plus grandes corrections à appliquer seront aussi les plus lentes, ce qui simplifie la tâche de l'ingénieur. On considère qu'une capacité à corriger des évolutions du front d'onde jusqu'à une fréquence caractéristique de 50 hertz est la marque d'un système performant.
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Écrit par
- Daniel ROUAN : directeur de recherche au C.N.R.S., membre de l'Académie des sciences
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