ORAISONS FUNÈBRES, Jacques Benigne Bossuet Fiche de lecture
Jacques Benigne Bossuet (1627-1704), orateur sacré sans égal, disciple de Vincent de Paul (1581-1660), académicien en 1671, évêque de Meaux en 1681, premier théologien du roi Louis XIV, est un apôtre de la dévotion. Fort opposé aux jansénistes et à leur doctrine sur la grâce et la prédestination, mais partageant avec eux leur haine du théâtre, il prêche avec éclat. La cour, pourtant, vers 1662, assez peu portée sur la réforme des mœurs et bien opposée à celui qui soutient le parti de la reine mère Anne d'Autriche et de ses dévots, se presse pour l'admirer dans ses grands sermons du Louvre ou de Saint-Germain. À défaut de convaincre de la nécessité d'abandonner la luxure pour souscrire aux devoir de charité et de justice, il impressionne par ses périodes oratoires et sait rendre grandes les morts les plus suspectes. Dans un ensemble de onze oraisons funèbres, prononcées de 1655 à 1687, sept restent comme des chefs-d'œuvre (« Oraison funèbre d'Anne d'Autriche », 1667 (discours officiel plus qu'oraison) ; « D'Henriette-Marie de France, reine de la Grande-Bretagne », 1669 ; « D'Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans », 1670 ; « De Marie-Thérèse d'Autriche, infante d'Espagne, reine de France et de Navarre », 1683 ; « D'Anne de Gonzague de Clèves, princesse Palatine », 1685 ; « De Michel Le Tellier, chancelier de France », 1686 ; et « De Louis de Bourbon, prince de Condé, premier prince du sang », 1687). On ajoutera ici celle qu'il prononça pour la mort de son maître du collège de Navarre, Nicolas Cornet, en 1663, peut-être la plus sincère de toutes, en tout cas la plus directe et la plus personnelle.
L'éloquence contre le théâtre
Si Bossuet prêcha tant contre le théâtre, c'est peut-être aussi qu'il le considérait comme un art rival du sien propre : l'éloquence de la chaire, largement ponctuée d'effets rhétoriques, recourant au code gestuel, pratiquant l'art de la déclamation et jouant sur la qualité de la voix, avait bien des choses à voir avec la manière de jouer la tragédie. Mais le lieu n'était pas le même, ni l'autorité du discours prononcé. Bossuet, pour ses Oraisons, s'exprime en prêtre et en politique, à grand renfort de figures et de périodes soigneusement rythmées. Et puisqu'il s'agit de faire un éloge (on ne peint pas les morts, a fortiori si ce sont de grands personnages de la cour, avec leurs défauts et leurs erreurs, mais sous leur meilleur jour...), autant qu'il émeuve et qu'il étonne. Ainsi, il n'est en aucun cas question d'être sincère, mais vraisemblable, conforme au genre, à l'intérieur d'une cérémonie funèbre grandiose souvent prononcée de longs mois après l'enterrement du défunt. Pour la cour, il s'agit d'entendre un discours de grandeur sur l'un de ses disparus, fût-il haï ou critiqué ; pour Bossuet, il s'agit de faire montre des pouvoirs de l'éloquence sacrée, tout en rappelant quelques points de religion, de morale et de politique, tout en émouvant le public, par la terreur, les larmes ou l'admiration. Ainsi, on oubliera les erreurs du Grand Condé et l'on glissera sur la Fronde et la rébellion armée qu'il fomenta contre Mazarin pour rappeler qu'il s'illustra à la bataille de Rocroi, et rendre, par des paroles vivantes, en un superbe style épique, la force du jeune général au sein du furieux combat : « Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier le Français à demi vaincu, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups. » Il faut savoir omettre les fautes et exagérer les qualités, là est la règle, pourvu qu'on élève le style et l'esprit du public.[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média
Autres références
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BOSSUET JACQUES BÉNIGNE (1627-1704)
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Jacques TRUCHET
- 3 921 mots
- 1 média
...est le goût des périodes. Certaines, dans les oraisons funèbres, les sermons ou le Discours sur l'histoire universelle, sont restées célèbres ; ainsi le début de l' Oraison funèbre d'Henriette de France : « Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, à qui seul...