ORANGERIE, 1934 : LES PEINTRES DE LA RÉALITÉ (exposition)
Des expositions sur les « peintres de la réalité », il y en eut plusieurs : celle organisée à Paris par le musée de l'Orangerie et la Réunion des musées nationaux du 22 novembre 2006 au 5 mars 2007, destinée à établir un lien symbolique entre le passé et l'avenir de la maison des Nymphéas, avait une ambition toute particulière. Comme l'indique son titre, il s'agissait d'une exposition prenant pour thème – à l'image de ce qui avait été expérimenté au Louvre quelques années auparavant avec les Primitifs français – la célèbre exposition parisienne du même titre qui eut lieu en 1934.
L'exposition originale fut organisée, à l'Orangerie précisément, par Paul Jamot, conservateur en chef des peintures du Louvre, et Charles Sterling, son collaborateur, et connut d'emblée un retentissement considérable. Son titre complet en indiquait la chronologie et l'aire géographique : Les Peintres de la réalité en France au XVIIe siècle. Chacun s'accorda à penser que jamais, avant cette manifestation, on n'avait vu la peinture française du Grand Siècle de cette manière. De plus, le public découvrit alors l'œuvre de Georges de La Tour, qui fit sensation lors de cette véritable révélation et s'installa désormais dans les consciences et dans les musées.
Il est vrai que le contexte historique de l'exposition – de l'automne 1934 au printemps 1935 – était particulièrement propice à cet accueil : après les émeutes du 4 février, dans un climat tourmenté, alors que s'affirmaient les fascismes en Europe et que s'annonçait le Front populaire, la France avait besoin qu'on la rassurât sur ses valeurs profondes, sur son « génie national », disait-on alors – l'expression se retrouve dans les textes du catalogue de l'exposition –, valeurs que cet art de la « réalité », grave et réfléchi, sombre et monumental, ferme et subtil, semblait lui renvoyer, comme une image dans un miroir. À travers le programme de l'exposition, Paul Jamot et Charles Sterling souhaitaient offrir une image idéalisée de la France, où des traits stylistiques formels tendaient à devenir autant de valeurs morales, et prendre parti dans le débat qui agitait le monde artistique, déchiré entre les courants modernes de l'abstraction et les retours à l'ordre, au réel, qui marquaient le néoréalisme des années 1930.
Pourtant, Henri Verne, alors directeur du musée du Louvre, institution qui réalisa le projet, était plutôt sceptique quant à sa réussite publique : « C'est une exposition d'érudition », confia-t-il à Charles Sterling, auteur de la presque totalité des notices scientifiques du catalogue, et ce « sera un four au point de vue du public […]. Mais le Louvre se doit de faire des expositions comme ça, de temps en temps ».
Quel fut par ailleurs le concept fondateur de cette grande manifestation, réalisée en un temps record (la première mention la signale au début de l'été 1934) et réunissant quelque 140 œuvres, issues des musées et des collections privées, dont des Valentin et des Jouvenet, des Le Nain et des Le Brun, des Vouet et des Champaigne, des La Tour et des Poussin…, une disparité stylistique qui surprit plus d'un spécialiste et commentateur à l'époque, et qui surprend toujours, une disparité conceptuelle aussi, lorsqu'on songe à ce que les classiques du xviie siècle eux-mêmes pensaient de la représentation non idéalisée de la réalité ? L'idée initiale, née de l'esprit fécond et subtil de Paul Jamot, était dans l'air depuis le siècle précédent – le titre de l'exposition reprend d'ailleurs en partie celui de l'ouvrage pionnier de Champfleury, Les Peintres de la réalité sous Louis XIII. Les frères Le Nain (1862). Au départ, le constat[...]
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Écrit par
- Milovan STANIC : maître de conférences en histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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