ORATEURS ET HISTORIENS, Antiquité gréco-romaine
Une histoire oratoire
De même qu'il y a une éloquence des historiens (les discours qu'ils fabriquent), il y a une histoire oratoire : celle des exempla, qui, à travers des personnages ou des anecdotes célèbres, fait appel au passé pour apporter des précédents ou proposer des modèles à imiter. L'exemplum est un moment de l'argumentation et un moyen de la persuasion. Le recours aux exempla est donc une façon pour l'orateur de raconter l'histoire de la cité et pour le public de se laisser raconter cette histoire. Athènes ne s'en priva pas : les orateurs du ive siècle en témoignent abondamment. Rome non plus, où l'importance du mos majorum conférait à la démarche encore un surcroît d'autorité.
Dans la cité hellénistique et romaine, cette éloquence historique fonctionne d'autant mieux que, ainsi que le note Plutarque, « la fortune n'a laissé aucun enjeu à nos luttes », expression homérique signifiant littéralement « aucun prix du combat déposé au milieu du cercle des guerriers ». La guerre n'est plus l'affaire des cités : plus d'erga donc, et seulement les logoi, comme erga, en place d'erga ou sans erga. En somme, l'activité des sophistes, avec toutefois ce correctif : l'éloquence des sophistes a une fonction claire ; son ergon ou son effet tend avant tout à préserver la concorde (homonoia) à l'intérieur de la cité, c'est-à-dire le pouvoir des notables et le statu quo social dans le cadre de l'Empire romain.
À Rome, Cicéron estime que l'éloquence est la « compagne de la paix », qu'elle ne peut s'épanouir dans les troubles accompagnant la naissance des cités ou quand la guerre fait rage (Brutus, xii, 45). Guère plus d'un siècle plus tard, Tacite, s'interrogeant sur la décadence de l'éloquence, apportera une réponse, qui peut s'entendre comme un contrepoint ironique : un État bien ordonné n'a pas besoin d'éloquence, elle fleurit dans les troubles. « À quoi bon accumuler les discours, puisque ce ne sont pas des incompétents et la foule qui délibèrent, mais le plus sage des hommes tout seul ? » (Dialogue des orateurs, xli). Là aussi, il n'y a plus d'enjeu, plus rien au « centre ». Voire plus de centre : plus de cité.
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Écrit par
- François HARTOG : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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