PHILHARMONIE TCHÈQUE ORCHESTRE DE LA
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Le principe de la fondation de la Philharmonie tchèque (encore appelée Orchestre philharmonique tchèque ; en tchèque : Orchestr České Filharmonie) remonte à 1894. Il existait depuis longtemps une vie symphonique active à Prague, mais sans la moindre continuité. Les premiers concerts de la nouvelle Philharmonie se déroulent dans le cadre de la Société d'encouragement de la musique en Bohême, avec des instrumentistes de l'orchestre du Théâtre national de Prague. Le premier concert a lieu le 4 janvier 1896 sous la baguette d'Antonín Dvořák. Au cours des premières années, la Philharmonie donne quatre concerts par saison. Mais, après la grève des musiciens du Théâtre national et le licenciement de certains d'entre eux, en 1901, une nouvelle entité se constitue, indépendante du Théâtre national, et qui se consacre exclusivement au concert sous la direction de Ludvík Vítězslav Čelanský. Celui-ci ne reste qu'une saison, du 15 octobre 1901 au 16 avril 1902. En mai et juin 1902, l'orchestre effectue sa première tournée à l'étranger, en Angleterre, sous la direction de Jan Kubelík. Entre 1906 et 1918, Vilém Zemánek est à la tête de l'orchestre ; ce premier mandat d'une certaine durée permet de fédérer l'orchestre et de lui donner un style. La survie de l'orchestre est alors le problème fondamental et, pour faire vivre les musiciens, il se produit dans des villes d'eau ou dans des cafés-concerts. Heureusement, Prague est un centre musical très important et la réputation de l'orchestre s'affirme. Le 19 septembre 1908, Gustav Mahler est au pupitre pour la création de sa Septième Symphonie « Chant de la nuit ».
Oskar Nedbal et Karel Kovařovic se partagent la direction au cours de la saison 1918-1919, avant la nomination de Václav Talich. En près d'un quart de siècle, Talich va faire de la Philharmonie tchèque l'un des meilleurs orchestres européens. Il impose des méthodes de travail rigoureuses, comparables à celles qu'il avait découvertes lorsqu'il était violon solo de l'Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction d'Arthur Nikisch. Tout en restant profondément centré sur les œuvres de Smetana et de Dvořák, le répertoire s'ouvre à la musique nouvelle de l'époque : l'orchestre crée Maturation de Josef Suk en 1918, la Sinfonietta de Leoš Janáček en 1926 ; il fait connaître la musique de Josef Bohuslav Foerster et de Bohuslav Martinů. Il donne en première audition des partitions d'Ervín Schulhoff et de Viktor Ullmann, des musiciens qui vont être interdits par les nazis et qui ne seront redécouverts qu'un demi-siècle plus tard.
Le 11 mai 1925, l'orchestre donne son premier concert radiodiffusé (Ma Patrie de Smetana) et, le 30 mars 1929, il enregistre la même œuvre à Londres pour sa première série de disques sous la direction de Václav Talich. Fred Gaisberg, le directeur artistique de His Master's Voice, est tellement fasciné par cette formation qu'il lui fait signer un contrat d'exclusivité. Plusieurs enregistrements d'œuvres de Dvořák et de Suk seront réalisés sous la baguette de Talich avant la guerre. Rafael Kubelík et George Szell gravent également quelques disques avec cet orchestre, le second accompagnant Pablo Casals dans l'enregistrement légendaire du Concerto pour violoncelle de Dvořák (1937).
En 1941, lorsque Talich prend la direction du Théâtre national de Prague, Rafael Kubelík est nommé premier chef de la Philharmonie tchèque, qu'il parvient à sauver pendant la période critique de la guerre. En 1945, l'étatisation de l'orchestre garantit sa survie matérielle. Kubelík engage beaucoup de jeunes musiciens et lui redonne une couleur et une cohésion qu'il avait perdues avec les défections des années de guerre. En 1946, pour le cinquantième anniversaire de l'orchestre, c'est la fondation du Printemps de Prague, festival international de musique dont la Philharmonie tchèque sera l'un des acteurs principaux. En 1948, devant la montée en puissance du régime communiste, Kubelík décide d'émigrer. Václav Neumann et Karel Šejna se partagent la direction avant la nomination de Karel Ančerl en 1950.
Le répertoire et le style de l'orchestre s'infléchissent alors sensiblement. Ančerl impose les grands classiques du xxe siècle, Stravinski, Bartók, Prokofiev et Chostakovitch – Janáček et Martinů font partie à présent du répertoire de base – ;il fait aussi connaître de nombreux compositeurs tchèques contemporains, certains imposés par le régime, d'autres choisis librement. Mais sa marge de manœuvre se restreint progressivement. Sous sa direction, l'orchestre prend un autre visage : les attaques sont plus franches et plus précises, les couleurs plus brillantes ; le sens du rythme s'affirme. Parallèlement, la Philharmonie tchèque devient un instrument de propagande pour le régime au pouvoir ; elle effectue d'importantes tournées dans le monde entier et pratique une large politique d'enregistrement. Ces voyages sont très bénéfiques, car ils permettent aux musiciens de se confronter aux orchestres des autres pays et de découvrir des styles très différents. Le travail d'Ančerl s'inscrit dans la durée, comme celui de Talich. En dix-huit ans, il façonne l'orchestre en s'appuyant sur l'extraordinaire souplesse de l'école tchèque d'instruments à cordes. Mais, en 1968, Ančerl quitte son pays après l'invasion soviétique.
Václav Neumann, alors en poste en Allemagne de l'Est, est rappelé à Prague pour prendre la direction de la Philharmonie tchèque. Les styles des deux hommes sont très différents. L'esthétique de Neumann est plus proche de l'univers germanique. Il fait découvrir Mahler à l'orchestre, qui devient l'un de ses plus brillants exécutants. Il infléchit l'approche du répertoire romantique allemand et réalise une synthèse entre l'héritage d'Ančerl et le style de l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig et de la Staaskapelle de Dresde. Avec Neumann, le style Mitteleuropa redevient une réalité : des cordes chaleureuses mais précises et transparentes, une réelle densité mais jamais de lourdeur. À une époque où tous les orchestres du monde connaissent une évolution convergente vers des standards internationaux, l'isolement politique des musiciens tchèques est une sauvegarde de leur identité. Les vents continuent à jouer sur des instruments de facture précaire, mais qui s'inscrivent dans une tradition. Et, pour s'adapter aux besoins des répertoires nouveaux, les musiciens accomplissent de réelles prouesses instrumentales qui font évoluer leur pratique.
Après la « révolution de velours », Neumann passe la baguette à Jiří Bělohlávek en 1990. En 1994, pour célébrer son centenaire, la Philharmonie tchèque passe des commandes à Petr Eben, Cristóbal Halffter, Hans Werner Henze, Marek Kopelent, Krzysztof Penderecki, Milan Slavický. La même année, elle élit à sa tête, pour la première fois de son histoire, un chef étranger, l'Allemand Gerd Albrecht. L'idylle est de courte durée, celui-ci devant démissionner en 1996. Après une période d'incertitude, il est remplacé par Vladimir Válek, Charles Mackerras devenant premier chef invité. C'est finalement Vladimir Ashkenazy qui devient directeur musical de 1998 à 2003. Lui succèdent Zdeněk Mácal (2003-2007), Eliahu Inbal (2009-2012) et Jiří Bělohlávek (depuis 2012).
Comme les institutions de tous les anciens pays communistes, la Philharmonie tchèque a souffert du désengagement de l'État en matière artistique. De nombreux instrumentistes ont émigré et, après la division de la Tchécoslovaquie, l'orchestre a perdu plusieurs musiciens slovaques. Dans les orchestres qui ont acquis une grande tradition, le renouvellement des instrumentistes doit toujours s'opérer en douceur, car le remplacement simultané d'un grand nombre d'entre eux pose un important problème de continuité ; la Philharmonie tchèque se trouve confrontée, en fait, à une situation comparable à celle qu'elle avait connue à la fin des années 1940. En outre, Prague est une ville où fleurissent les orchestres de chambre pour touristes, qui assurent aux instrumentistes une rémunération deux ou trois fois plus élevée que les orchestres symphoniques. Il est donc difficile d'intéresser les meilleurs jeunes musiciens, et, pour la première fois de son histoire, la Philharmonie tchèque connaît des problèmes de recrutement. Enfin, l'ouverture des frontières permet aux musiciens d'établir des contacts avec leurs collègues d'autres pays, notamment occidentaux. De nouveaux instruments de facture moderne commencent à remplacer les plus anciens ; période d'adaptation, de transition, de danger, où l'orchestre risque de perdre une partie de son identité.
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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KUBELIK RAFAEL (1914-1996)
- Écrit par Alain PÂRIS
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..., période qu'il considère comme la plus enrichissante de ses années de formation. Puis Vacláv Talich l'engage à ses côtés comme chef d'orchestre à la Philharmonie tchèque. D'emblée, Kubelík trouve des conditions de travail exceptionnelles : les conseils de l'un des plus grands formateurs d'orchestres...
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