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ORDRE & DÉSORDRE DANS LA SOCIÉTÉ

Dès lors qu'on la tient pour autre chose qu'un rassemblement accidentel d'individus, toute société suppose un ordre puisqu'il n'y a pas de société sans règles. Cet ordre se révéle au premier regard par un agencement de tabous ou de prescriptions auxquels, contraints ou spontanément, se soumettent les membres du groupe ; une hiérarchie détermine alors leurs « rôles » et leur status par une discipline qui, éventuellement, sanctionne les comportements aberrants. Tout manquement aux règles expresses ou implicites qui structurent ainsi l'édifice social constitue un désordre.

Le désordre apparaît dès lors comme un refus de la règle. Seulement, ce refus peut être motivé de différentes façons. La plus banale est celle où l'individu cherche à se soustraire à l'obligation pour satisfaire une passion ou un intérêt personnels. Il vole pour s'enrichir, il tue pour se venger, il brûle un feu rouge parce qu'il est impatient. Dans ces divers cas, le désordre s'analyse en une infraction par laquelle l'individu s'affranchit de l'ordre sans mettre en cause sa valeur. À condition de demeurer exceptionnels, de tels comportements sont sans gravité pour l'ordre, car ils contribuent en définitive à faire ressortir sa nécessité. C'est, au contraire, cette dernière que contestent les théories anarchistes qui répudient le concept même de l'ordre et se proposent de reconstruire la vie en commun sur la base de la volonté individuelle autonome. Dans cette perspective, le désordre procède d'une négation d'un ordre s'imposant de l'extérieur à l'homme. Il n'y a donc pas de compromis possible entre la liberté et la contrainte inhérente à l'ordre social. Certes, les doctrinaires de l'anarchie admettent que la paix entre les individus ne peut être assurée que par les liens qu'ils nouent entre eux, mais la diversité des formules qu'ils imaginent à cet effet et leur caractère généralement utopique font que, jusqu'à une époque toute récente, l'anarchie se situait en marge des sociétés existantes plutôt que de constituer, pour elles, une menace sérieuse ; de plus, il y aura lieu de se demander si le phénomène contemporain de la contestation, en valorisant le désordre, n'est pas de nature à les ébranler plus gravement que ne le fait l'anarchisme traditionnel.

Il est enfin une dernière motivation du refus de la règle qui, sans porter atteinte à sa nécessité, s'attache à son contenu. C'est là l'attitude la plus habituellement génératrice de ce que l'on tient pour le désordre. C'est elle aussi qui est la plus féconde, car, si elle provoque un désordre, c'est par l'idée d'un projet visant à introduire dans la société un ordre différent de celui sur lequel elle repose.

On doit considérer, en effet, que la figure visible de l'ordre n'en épuise pas le sens : les pensionnaires d'une prison sont régentés par un ordre, pourtant cet ordre n'est pas un ordre social, car les prisonniers ne constituent pas une société. Il n'y a d'ordre social que celui que détermine une finalité. Les hommes entrent en société pour accomplir en commun ce qu'ils ne peuvent réaliser seuls. Élémentaire ou complexe, cet objectif conditionne l'ordre auquel la société doit sa structure et son style. Par l'entremise de la finalité sociale l'ordre trouve ainsi son assise et sa légitimité dans le consensus du groupe. Il extériorise la discipline indispensable pour qu'une certaine manière de concevoir la vie commune vienne féconder le besoin primordial de vivre ensemble. C'est bien pourquoi, dès que s'éveille la réflexion humaine, des images de l'ordre désirable se posent en rivales de l'ordre établi. De cette rivalité naît le désordre, mais un désordre dont l'origine[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris

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