ORDRES, architecture
Les Temps modernes
Sensibles au renouveau culturel de leur époque, les humanistes des xve et xvie siècles parlaient de renaissance des lettres et des arts ; au xixe siècle, dans un contexte de revival généralisé, artistes et historiens eurent tendance à interpréter le mot au sens littéral de re-naissance de l'art antique. L'abandon de la pile gothique et le retour aux formes classiques des ordres sont en effet dans le domaine architectural l'un des signes les plus apparents de la rupture culturelle qui marque le Quattrocento italien, et l'une des pierres de touche de la pénétration de cette nouvelle culture dans l'Europe du Nord au cours du xvie siècle.
Cependant, quel que soit le désir de faire revivre la bonne architecture antique, les ordres modernes sont loin d'être de simples copies des ordres gréco-romains ; la nécessité de les adapter aux programmes du temps suscite des types d'ordonnance inédits, et l'idée même d'un système des ordres, seulement suggérée par Vitruve, trouve à l'époque moderne un développement considérable. Certes, il arrive de trouver des imitations littérales : en 1540, Jean Bullant utilise au château d'Écouen le corinthien du temple romain de Castor et Pollux ; en 1630, Inigo Jones s'inspire à Covent Garden de l'ordre toscan de Vitruve, tel que le reconstitue Daniele Barbaro ; en 1845, William Strickland donne à la colonnade du capitole de Nashville les formes de celle de l'Érechtheion, etc. ; mais ces exemples mêmes montrent la variété des modèles antiques.
Entre les prescriptions de Vitruve – auteur du seul traité d'architecture antique qui nous soit parvenu – et la leçon des ruines, entre les ordres grecs et romains, entre les formes du Haut- et du Bas-Empire, les architectes modernes ont dû choisir, trouver des compromis ou innover, bref, s'écarter d'une imitation littérale : les uns cherchent à définir une forme idéale, dont les édifices antiques seraient des images approchées, d'autres, stimulés par la variété des modèles romains, proposent de nouvelles formes. L'histoire architecturale de l'Europe occidentale depuis le xve siècle trouve dans ces tâtonnements, ces hybridations et ces variations sur les ordres antiques l'un de ses traits les plus déterminants. Les ordres constituent, pour l'architecture « classique » entendue au sens large, comme l'a bien dit John Summerson, « des catégories aussi fondamentales que le sont par exemple les quatre conjugaisons de la grammaire latine », catégories dans lesquelles se renferme toute expression architecturale, mais la manière différente dont chaque génération les utilise est l'un des traits essentiels de ce que nous entendons par style.
Redécouverte des ordres antiques et règles modernes
Le système moderne des ordres résulte d'un compromis entre les prescriptions de Vitruve, l'étude des monuments romains et la recherche de règles idéales, compromis dont la lente élaboration justifie l'appellation « première renaissance » donnée à sa première phase, dont les avatars caractérisent l'effort de normalisation du xvie siècle, et qui se stabilise au xviie autour de deux ou trois règles, jugées plus commodes (Vignole) ou plus belles (Palladio) que les autres.
Au début du xve siècle, les milieux que nous appelons humanistes, notamment celui des secrétaires pontificaux, redécouvrent l'intérêt historique et pratique du De architectura de Vitruve. La fin du livre III et l'essentiel du livre IV sont consacrés aux ordres, ionique et corinthien, dorique et toscan ; mais les erreurs des copistes et le caractère technique du vocabulaire, que n'éclaire aucune illustration, rendent ces explications d'interprétation délicate. Aussi, un siècle de recherches philologiques et archéologiques sépare la découverte du manuscrit[...]
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Écrit par
- Bernard HOLTZMANN : ancien membre de l'École française d'Athènes, professeur émérite d'archéologie grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
- Claude MIGNOT : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Éliane VERGNOLLE : maître assistant en histoire de l'art médiéval, université de Paris-IV- Sorbonne
Classification
Médias
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